
#Santé #mentale en France : une grande cause sans moyens, une urgence sans réponse
1. Un fardeau sanitaire massif et durable
La santé mentale constitue aujourd’hui l’un des premiers motifs de morbidité en France. Les troubles psychiques représentent la première cause d’années vécues avec incapacité, devant les maladies cardiovasculaires et les cancers. Ils sont également à l’origine d’un coût socio-économique majeur, estimé à plus de 160 milliards d’euros par an(soins, arrêts de travail, invalidité, perte de productivité).
Les indicateurs récents confirment une dégradation continue depuis la pandémie de Covid-19, particulièrement chez :
- les jeunes adultes (anxiété, dépression, conduites suicidaires),
- les professionnels de santé,
- les personnes en situation de précarité sociale.
La France reste par ailleurs l’un des pays européens les plus consommateurs d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et d’hypnotiques, traduisant un recours massif à la réponse médicamenteuse face à une offre psychothérapeutique insuffisamment accessible.
2. Une reconnaissance politique tardive mais désormais explicite
La désignation de la santé mentale comme Grande cause nationale 2025 (puis 2026) marque une étape symbolique importante. Elle s’inscrit dans la continuité de la feuille de route Psychiatrie et santé mentale (2018-2026), avec une volonté affichée de :
- renforcer la prévention,
- améliorer le repérage précoce,
- structurer des parcours de soins plus lisibles,
- réduire la stigmatisation.
Le plan présenté en 2025 ambitionne également de désengorger les urgences, de soutenir les équipes mobiles et de consolider les CMP comme pivot du secteur public.
Cependant, cette reconnaissance reste en grande partie déclarative, car elle ne s’est pas accompagnée, à ce stade, d’un changement de paradigme budgétaire et organisationnel comparable à celui observé pour d’autres priorités sanitaires.
3. Le terrain : un système à bout de souffle
Sur le terrain, le constat est largement partagé par les professionnels :
- délais d’attente de plusieurs mois en CMP,
- fermetures de lits d’hospitalisation sans alternatives ambulatoires effectives,
- pénurie chronique de psychiatres, psychologues, infirmiers spécialisés,
- turn-over élevé et épuisement professionnel.
La sectorisation psychiatrique, historiquement pensée comme un modèle de proximité, est aujourd’hui déséquilibrée et inégalement appliquée, générant des pertes de chance territoriales majeures.
Les urgences deviennent un point d’entrée par défaut, souvent inadapté à la complexité clinique des situations, avec une logique de gestion de flux plutôt que de continuité des soins.
4. Ville–hôpital : une articulation encore largement défaillante
La médecine générale et les psychologues libéraux jouent un rôle central dans la prise en charge de première ligne, mais :
- sans coordination systématique avec le secteur psychiatrique,
- avec des dispositifs de remboursement partiels et instables,
- sans accès facilité à l’avis spécialisé.
Le dispositif « Mon soutien psy », bien qu’allant dans le sens d’un meilleur accès, illustre les limites actuelles : critères restrictifs, faible attractivité pour les professionnels, et inadéquation pour les troubles modérés à sévères.
5. Une approche encore trop biomédicale et fragmentée
Malgré les discours sur la prévention, le système reste largement centré sur :
- le soin curatif,
- la réponse médicamenteuse,
- des prises en charge tardives.
Les déterminants sociaux de la santé mentale (logement, emploi, précarité, violences, isolement, trajectoires migratoires) restent insuffisamment intégrés dans les politiques publiques, alors même qu’ils conditionnent fortement l’évolution clinique et le rétablissement.
Cette fragmentation entretient une confusion entre mal-être social et pathologie psychiatrique, avec un risque de sur- ou sous-diagnostic, et une allocation inefficiente des ressources. Le financement est encore trop souvent vectorisé vers les centres « experts » ne proposant pas de soin et la psychiatrie biologique ou de « précision ».
6. Droits des patients et pratiques sous tension
Les débats sur l’isolement, la contention et les soins sans consentement témoignent d’un système sous contrainte extrême. Leur persistance n’est pas uniquement idéologique : elle reflète souvent le manque d’effectifs, de temps clinique et d’alternatives thérapeutiques.
Les recommandations en faveur d’une psychiatrie orientée vers le rétablissement, le partenariat avec les patients et les pairs-aidants restent inégalement mises en œuvre.
Conclusion
La France reconnaît désormais officiellement la santé mentale comme une priorité nationale. Pourtant, l’écart entre les intentions politiques et la réalité clinique quotidienne demeure considérable. La crise actuelle n’est ni conjoncturelle ni uniquement budgétaire : elle est structurelle, organisationnelle et culturelle.
Sans investissements massifs et durables, sans réforme profonde des parcours de soins, sans intégration réelle des déterminants sociaux et sans revalorisation des métiers de la psychiatrie, la Grande cause nationale risque de rester un signal politique fort mais sans traduction suffisante sur le terrain, au détriment des patients comme des soignants.
La santé mentale a été proclamée Grande cause nationale en 2025 puis 2026. Le signal politique est fort. La réalité clinique, elle, est brutale. Sur le terrain, patients et professionnels constatent un décalage croissant entre les discours et l’accès réel à des soins de qualité. Derrière l’affichage, le système de psychiatrie et de santé mentale continue de s’enfoncer dans une crise structurelle profonde.
La France fait face à un paradoxe désormais bien documenté : alors que la souffrance psychique concerne une large part de la population, l’offre de soins n’a jamais été aussi difficilement accessible. Les troubles psychiques représentent la première cause d’années vécues avec incapacité, un coût humain et économique majeur, et pourtant les délais d’attente explosent, les équipes s’épuisent, et les parcours de soins se fragmentent.
Dans les centres médico-psychologiques, censés constituer le socle de la psychiatrie publique de secteur, plusieurs mois d’attente sont devenus la norme. Les fermetures de lits se sont poursuivies sans développement équivalent de l’ambulatoire. Les urgences, inadaptées à la prise en charge de la complexité psychique, servent de porte d’entrée par défaut. Cette situation n’est pas le fruit d’une crise ponctuelle mais celui de choix structurels accumulés depuis des décennies.
La pénurie de professionnels est centrale. La psychiatrie souffre d’un déficit d’attractivité ancien, aggravé par des conditions d’exercice dégradées, une charge administrative croissante et un sentiment de perte de sens. Les psychologues, bien que nombreux, restent mal intégrés dans une logique de parcours coordonné, avec des dispositifs de remboursement partiels et inadaptés aux troubles modérés à sévères. La médecine générale se retrouve en première ligne, souvent sans appui spécialisé disponible.
Au-delà des moyens, c’est le modèle qui montre ses limites. La santé mentale continue d’être pensée majoritairement sous un angle biomédical, tardif et curatif. Les déterminants sociaux – précarité, logement, conditions de travail, isolement, violences – sont pourtant centraux dans l’émergence et l’évolution des troubles. En ne les intégrant pas réellement, on entretient une confusion entre mal-être social et pathologie psychiatrique, au détriment de la pertinence clinique et de l’efficience du système.
La persistance des pratiques d’isolement, de contention et de soins sans consentement illustre cette tension extrême. Elles ne relèvent pas seulement d’un débat éthique, mais d’un système sous-doté, contraint à gérer l’urgence faute de temps, d’effectifs et d’alternatives thérapeutiques. Les principes de rétablissement, de partenariat avec les patients et de pair-aidance restent trop souvent des intentions sans traduction opérationnelle.
Faire de la santé mentale une grande cause ne peut se limiter à des campagnes de sensibilisation. Cela suppose un investissement massif, durable, et une réforme en profondeur des organisations : renforcement du secteur public, articulation réelle ville-hôpital, prévention en amont, intégration des dimensions sociales, et revalorisation des métiers. Sans cela, la Grande cause nationale risque de rester un symbole, tandis que la crise, elle, continuera de s’aggraver.
Assurance Maladie. (2023). Dépenses de santé liées aux troubles psychiques.
https://www.ameli.fr
Haute Autorité de Santé. (2024). Programme santé mentale et psychiatrie 2025-2030.
https://www.has-sante.fr
Ministère des Solidarités et de la Santé. (2018). Feuille de route psychiatrie et santé mentale 2018-2026.
https://sante.gouv.fr
Ministère des Solidarités et de la Santé. (2025). La santé mentale, Grande cause nationale.
https://www.info.gouv.fr
Organisation mondiale de la Santé. (2022). World mental health report: Transforming mental health for all.
https://www.who.int
Fédération Hospitalière de France. (2023). Psychiatrie publique : état des lieux et difficultés d’accès aux soins.
https://www.fhf.fr
DREES. (2022). La prise en charge des troubles psychiques en France.
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr