#Covid-19 : Pour éviter d’autres #confinements, les personnes #contagieuses doivent s’isoler plus rapidement
Le délai écoulé entre le contact d’une personne avec le coronavirus SARS-CoV-2 et son isolement est un indicateur central de l’efficacité des mesures mises en place dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Dans notre pays, cet indicateur n’est actuellement pas précisément estimé ni suivi, cependant la surveillance réalisée par Santé publique France suggère qu’il est de l’ordre de six à sept jours. Si ce laps de temps a diminué par rapport à ce qu’il était au printemps, il est encore trop élevé et demeure supérieur à celui observé dans les pays contrôlant le mieux l’épidémie, tels que Hongkong, Taiwan, la Nouvelle-Zélande, ou le Japon notamment.
Si nous ne parvenons pas à faire tendre ce nombre de jours vers zéro, la France risque d’être condamnée à la répétition de mesures concernant la société tout entière, telles que le confinement généralisé, tant que des traitements antiviraux ou un vaccin efficace ne seront pas disponibles.
Voici quelques pistes pour parvenir à relever le défi de l’isolement précoce.
Pourquoi isoler plutôt que de laisser le virus circuler ?
Avant tout, rappelons qu’en épidémiologie infectieuse, le nombre de reproduction, R, qui correspond au nombre moyen de personnes contaminées par chaque personne infectée, à un instant donné, est un indicateur essentiel. Son estimation et le suivi de son évolution dans le temps permettent d’évaluer l’efficacité des mesures mises en place pour contrôler l’épidémie.
On distingue le nombre de reproduction initial, noté R0, correspondant au nombre de personnes infectées en moyenne par chaque sujet infecté au moment où l’agent pathogène est introduit au sein d’une population dans laquelle l’ensemble des individus sont sensibles, sans mesure de contrôle, du nombre de reproduction effectif (Rt), qui est calculé après le début de l’épidémie. Ce dernier est généralement inférieur à R0, d’une part parce que la proportion de sujets non immunisés à tendance à diminuer et d’autre part du fait de l’introduction d’interventions de prévention. Au printemps, alors que l’épidémie commençait dans notre pays, le R0 du SARS-CoV-2 avait été estimé à 3, autrement dit une personne infectée en contaminait 3 autres en moyenne.
Faire baisser le nombre de reproduction est le but de toute intervention non pharmaceutique. En l’absence de vaccin ou de traitement médicamenteux diminuant la contagiosité, certains ont suggéré de faire décroître la proportion de sujets sensibles en laissant l’épidémie diffuser sans confinement strict et avec des interventions minimales, afin d’essayer d’atteindre une « immunité collective ». Sans entrer dans les détails, précisons qu’il s’agit là d’un processus très « coûteux » pour la société, pas uniquement en termes financiers : cela impliquerait, à l’échelle d’un pays comme la France, de tolérer l’infection de dizaines de millions de personnes. Avec pour conséquences un nombre colossal de cas de maladie, d’hospitalisations et in fine plusieurs centaines de milliers de décès. Par ailleurs, la saturation des hôpitaux entraînerait de nombreuses morts supplémentaires, du fait d’impossibilité de traiter d’autres pathologies en raison de la prise en charge des patients Covid-19.
Cette option a été tentée dans certains pays, tels que la Grande-Bretagne (au tout début de l’épidémie), certains États des USA, ou la Suède. Elle est maintenant abandonnée par la plupart des gouvernements, même si la Suède persiste dans cette stratégie, dans un contexte très spécifique de responsabilité collective.
Une alternative permettant de diminuer le nombre de reproduction de l’épidémie est de limiter le nombre de contacts « à risque ».
Diminuer les contacts des personnes contagieuses
Les gestes barrière tels que port du masque, lavage des mains, distanciation physique et sociale, ou aération des locaux ont été mis en place pour limiter les probabilités de contact avec le virus. S’ils sont efficaces, ils ne le sont pas à eux seuls suffisamment, comme l’a montré la reprise épidémique constatée à l’automne 2020. Le confinement permet quant à lui de faire baisser drastiquement le nombre de contacts « à risque » que chacun peut avoir, en restreignant les contacts en dehors du domicile.
Cependant, seuls les contacts avec des personnes contagieuses sont dangereux : qu’une personne non contagieuse rencontre zéro ou cent personnes dans sa journée n’a pas d’impact sur la propagation du virus si toutes ces personnes sont elles-mêmes non contagieuses… Une approche moins contraignante que le confinement généralisé est donc envisageable : elle consiste à faire baisser le nombre de contacts des seules personnes potentiellement contagieuses, c’est-à-dire les « cas contacts » et les cas avérés pendant 7 jours, en les isolant. En effet, si une personne contaminée est isolée rapidement après son infection, avant même de devenir contagieuse, elle ne disséminera pas le virus, indépendamment du fait qu’elle développe ou non des symptômes. C’est ce que prônait le triptyque « tester-tracer-isoler » (TTI), aujourd’hui malheureusement remplacé par « tester-alerter-protéger » (TAP), une formulation plus floue et moins efficace pour contrôler l’épidémie qui ne met plus en avant les termes les plus importants : « tracer » et « isoler ».
Théoriquement, s’il était possible de mettre en œuvre un isolement « parfait » des personnes potentiellement contaminées, à l’échelle de l’ensemble de la société, c’est-à-dire en isolant 100 % des personnes contagieuses, au bout de deux à trois semaines (la durée maximale de la maladie), il n’existerait plus de cas d’infection.
Dans la réalité, les mesures visant à atteindre cet objectif ne seront probablement pas mises en place de façon parfaitement efficace. Il peut en outre exister des cas d’infection importés. Dans ces conditions, la maladie persistera, mais à bas bruit. Si les quelques cas qui ne sont pas immédiatement isolés le sont dans un délai bref, limitant le nombre de contacts à risque qu’ils peuvent avoir, l’épidémie restera sous contrôle, et ce d’autant plus que le reste de la société respectera les gestes barrière. C’est la situation actuelle dans laquelle se trouve l’Australie par exemple.
À quel moment isoler les personnes infectées ?
Le moment idéal pour isoler une personne ayant été en contact avec le virus, suite à un dîner avec une personne infectée par exemple, se situe immédiatement après ledit contact. En effet, la phase contagieuse débute environ deux ou trois jours après la rencontre avec le coronavirus SARS-CoV-2. En isolant immédiatement la personne qui s’est trouvée dans une situation à risque, on évite donc qu’elle ne contamine d’autres individus.
S’il s’avère qu’un isolement immédiat n’a pas été possible, il peut aussi être mis en place le plus tôt possible durant la phase contagieuse, avant le développement éventuel des symptômes. Mais dans ce cas, la personne a pu en infecter d’autres avant d’être isolée.
On peut enfin envisager un isolement après le début des symptômes (rappelons que seuls les deux tiers des individus infectés en développent), à condition toutefois que moins de sept jours se soient écoulés depuis leur début. Au-delà de ce délai, il est probable que la personne ne soit plus contagieuse. L’isolement est donc alors inutile. Dans un contexte de pénurie de tests, la réalisation d’un test diagnostique au-delà de 7 jours peut à ce titre être considérée comme inutile, voire néfaste du point de vue de la santé de la collectivité (s’il retarde la réalisation des tests chez les personnes potentiellement infectées qui seraient à un stade plus précoce après le contact avec le virus).
Il serait central que la répartition des personnes entre les situations 1, 2 et 3, et 4, soit mieux mesurée et suivie, et que tous les efforts soient faits pour déplacer la proportion la plus élevée possible des cas vers la situation 1 d’isolement avant le début de la période contagieuse. L’évolution de cette répartition, qui conditionne le délai entre le contact et l’isolement, représente un très bon marqueur de l’efficience de la réponse de la société.
À nombre de nouvelles personnes infectées équivalent, il existe une énorme différence entre une communauté qui réussit à isoler les cas avant la période contagieuse et une communauté où de nombreux cas sont isolés dans la période contagieuse, ou plus tard : c’est la différence existant entre une société qui est sur la voie du contrôle de l’épidémie et une société où la maladie continue à s’étendre.
L’importance du traçage
L’étape de traçage des contacts est primordiale. Il s’agit non seulement d’identifier les individus qui ont pu être infectés par le cas détecté (appelés les « cas descendants » ou « cas contacts », que l’on identifie par ce que les Anglo-saxons appellent le « forward tracing »), mais aussi d’identifier le cas qui est susceptible d’être à l’origine de la contamination de l’individu considéré. Ce cas est appelé « cas ascendant », et on l’identifie par « backward tracing ».
L’identification des cas descendants est grandement facilitée par un isolement précoce : si on réussit à identifier et isoler les cas potentiels juste après leur contamination, avant le début de la phase contagieuse, il n’y aura pas, ou peu, de cas descendants à isoler. Inversement si, comme cela arrive souvent aujourd’hui, on n’isole que sur la base d’un test réalisé trois ou quatre jours après le début des symptômes (donc environ cinq à six jours après le début de la phase contagieuse), les cas contacts seront plus nombreux. En outre, ils seront difficiles à identifier : il n’est pas évident de se souvenir de tous nos contacts sociaux plusieurs jours après. Surtout, certains de ces contacts auront déjà pu être à l’origine de nouvelles contaminations.
L’approche consistant à investir de l’énergie sur les cas « parents » (les cas « ascendants ») est quant à elle particulièrement payante au début d’une vague épidémique. Elle l’est également si les cas ont tendance à survenir en grappe. Or dans le cas des coronavirus comme le SARS-CoV-2, il a été démontré une forte tendance à l’agrégation des cas, c’est-à-dire à un développement en clusters ou foyers épidémiques dans les premiers temps de l’épidémie.
Cela signifie qu’il existe, à ce moment au moins, une petite fraction de sujets qui sont responsables d’une fraction disproportionnellement importante de cas de contamination. Les identifier n’est pas simple et nécessite d’avoir recours à un examen plus détaillé et remontant plus loin que lors de la recherche des cas descendants. Cette approche serait cependant particulièrement pertinente, en particulier dans une phase où l’épidémie a été bien contrôlée, pour diminuer le risque qu’elle ne redémarre.
Le Japon y a eu recours avec succès au début de la phase actuelle de l’épidémie. Le recours le plus large possible de la population à des applications de « contact tracing » telles que l’application « TousAntiCovid » peut grandement favoriser l’identification rétrospective d’agrégations de cas, tout en respectant la confidentialité des données personnelles.
Une fois cette identification réalisée, l’isolement doit se mettre en place immédiatement. Des recommandations précises concernant une stratégie d’auto-isolement « alliant la promotion du devoir de solidarité à des mesures de compensations » ont déjà été formulées par le Conseil scientifique Covid-19.
Une situation floue en France
En France il est difficile d’avoir une vision précise de la situation en matière de délai d’isolement des cas, car le délai entre le contact avec le virus et l’isolement de la personne concernée n’est pas très précisément suivi.
Les précieux points épidémiologiques hebdomadaires fournissent toutefois des données permettant de l’estimer indirectement, telle que la valeur moyenne du délai entre la date des premiers signes cliniques et la date du prélèvement pratiqué pour réaliser le test de RT-PCR. Cette valeur est connue pour 51 % des cas identifiés (dont on ne sait pas cependant pas s’ils sont représentatifs de l’ensemble des cas). Elle était, pour la deuxième semaine de novembre 2020, de 3,1 jours. Au printemps, elle avait dépassé dix jours.
Sachant que le délai entre le début de la phase contagieuse et l’apparition des premiers symptômes est de l’ordre de deux jours en moyenne, et que le délai entre le prélèvement et le résultat du test RT-PCR puis l’isolement peut encore ajouter un ou deux jours, on peut estimer que le délai entre le début de la phase contagieuse et l’isolement, était mi-novembre encore au minimum en moyenne de l’ordre de 6 à 7 jours dans notre pays. C’est trop.
Depuis le début de l’épidémie, la Nouvelle-Zélande a réussi à faire chuter le délai avant isolement de 7,2 jours à – 2,7 jours. Autrement dit, les cas étaient, au début de l’infection, isolés environ une semaine après le début de leurs symptômes ; ils le sont désormais en moyenne environ 3 jours avant le début des symptômes.
En France, on voit qu’avec un délai probablement d’au moins trois jours entre les premiers symptômes et la réalisation d’un test, estimé qui plus est sur un échantillon probablement non représentatif de cas, on est très loin, d’environ une semaine ou plus, de la situation néo-zélandaise. Et ce, alors même qu’une alerte sur les lenteurs du « tester-tracer-isoler » avait été lancée dès le mois de juillet dernier par le Conseil scientifique.
Isolement immédiat : concrètement comment faire ?
Être en mesure d’isoler dans les plus brefs délais implique de pouvoir réaliser des tests diagnostiques rapidement après la suspicion d’un contact avec le virus (en laissant les quelques jours nécessaires à la charge virale pour être détectable) ou, mais c’est déjà tard, dès l’apparition du moindre symptôme chez les sujets infectés qui n’étaient pas identifiés comme cas contact.
Cela semble difficile à mettre en place en France aujourd’hui. Pour parvenir à améliorer la situation, certaines conditions semblent importantes :
– Réussir à tester et diagnostiquer la majorité des cas SARS-CoV-2 avant les premiers symptômes, ou au plus tard au moment de leur survenue, et non pas 3 à 5 jours après : la mise en place d’un opérateur unique, responsable du recueil des déclarations de symptômes, de la réalisation des tests (incluant une aide à la prise de rendez-vous), du traçage du cas ascendant et des cas descendants, ainsi que de l’accompagnement de l’isolement pourrait permettre d’atteindre cet objectif. Le « point d’entrée » dans ce système tester-tracer-isoler serait le numéro vert Covid et un site Internet associé.
– Déclencher l’isolement en amont du test diagnostique, sur la base d’un bref questionnaire standardisé et d’un algorithme simple lors de l’appel au numéro vert : si on ne peut tester-tracer-isoler efficacement, il faut au moins tracer-isoler, plutôt que de risquer de ne pas tracer et isoler les personnes que l’on n’arrive pas à tester. Mieux vaut mettre en quarantaine un peu trop de monde que l’inverse, si cela peut diminuer la durée de confinement de tout un pays. Réduire le délai avant l’isolement est la priorité. Ceci implique d’avoir un nombre conséquent de répondants à ce numéro vert ; une assistance informatique pourrait permettre de limiter un peu les moyens humains nécessaires. La prise en charge du point de vue de la prévention est souvent le résultat d’un test de diagnostic, ce qui est trop tardif.
– Centraliser la gestion de la file des rendez-vous pour la réalisation des tests de diagnostic : à l’heure actuelle, ceci est réalisé sans cahier des charges précis par des opérateurs privés et publics. Dans certaines villes, il n’est pas possible de prendre rendez-vous sur Internet ni au téléphone, il faut se déplacer dans un laboratoire pour le faire, et ledit rendez-vous est ensuite parfois proposé seulement plusieurs jours plus tard. Il n’y a pas de logique claire de priorisation, en dépit de recommandations trop peu clairement explicitées ou appliquées (même si la situation tend à s’améliorer).
– Convaincre la société de jouer le jeu : réduire drastiquement le délai entre l’infection et l’isolement ne pourra être que le résultat d’un effort collectif. La réussite de cette approche implique que les personnes possiblement infectées acceptent de contacter le numéro vert ou le site Internet dès le moindre contact douteux ou signe clinique relevant de la symptomatologie du Covid-19. Il faut non seulement que ces personnes soient écoutées, informées, conseillées, mais aussi qu’elles adhèrent aux conseils qu’elles recevront, ainsi qu’aux modalités d’isolement proposées. Recevoir un SMS n’est pas une réponse adéquate pour inciter à l’isolement, qui constitue un changement radical de mode de vie, même s’il ne dure que quelques jours. Cette situation nécessite un dialogue personnalisé.
Soulignons que cette stratégie ne doit évidemment pas empêcher le contact avec un médecin si la personne est considérée comme risquant de développer une forme grave de la maladie, ou si elle a des symptômes préoccupants. La réponse thérapeutique individuelle doit se déployer en parallèle de la réponse de santé publique.
Enfin, ces propositions ne doivent pas dispenser d’une étude approfondie des mesures mises en place par les pays où l’isolement fonctionne efficacement.
Le coût de l’isolement
Ne nous voilons pas la face : le prix à payer pour une telle approche, qui implique d’accompagner et d’isoler un grand nombre de personnes, est très élevé. Des personnes qui se révéleront in fine non infectées pourraient se retrouver isolées en attendant d’obtenir un rendez-vous pour se faire tester et recevoir les résultats des analyses. Si les tests traînent, le coût de cette approche pourrait s’avérer conséquent. Toutefois, ce coût demeurerait a priori plus faible que celui d’un confinement généralisé. Au-delà du coût financier, l’isolement peut s’avérer difficile à supporter pour certaines personnes, surtout s’il se fait en dehors du domicile, en vue de protéger les autres membres du foyer.
Par ailleurs, l’isolement des cas peut être perçu comme plus inégalitaire que le confinement généralisé. Il faut cependant garder en mémoire qu’un confinement généralisé n’a rien d’égalitaire : lors du premier confinement, de mars à mai 2020, les personnes appartenant aux catégories sociales les moins favorisées ont rencontré de bien plus grandes difficultés que les personnes plus aisées.
Isoler, pendant au maximum une dizaine de jours, les seules personnes ayant récemment été en contact prolongé avec une personne infectée ou celles ayant des symptômes constitue une contrainte moins forte pour la collectivité que devoir isoler à répétition toute la société pendant quatre à six semaines, ce qui revient à en modifier profondément le fonctionnement plusieurs fois par an. L’exemple de pays d’Asie et d’Océanie donne à penser que si la première approche est correctement mise en œuvre, elle pourrait nous dispenser d’avoir recours à la seconde.
Il est donc important d’agir collectivement dès maintenant à la mise en œuvre de ces mesures, pour empêcher ou retarder une nouvelle flambée épidémique après ce second confinement. Cette menace pèse de manière bien réelle sur le premier semestre de l’année 2021, sauf si la vaccination venait à modifier le paysage épidémique…
Alfred Spira, Professeur honoraire de santé publique et d’épidémiologie, Académie nationale de médecine, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.