Alors que le plan « Ma santé 2022 » prévoit de faire du dossier médical partagé et de l’Espace numérique de santé deux piliers des futures transformations numériques du secteur de la santé, il est important de tirer les leçons des problèmes posés par ces technologies de l’information plus anciennes afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Les DPI sont des logiciels transversaux permettant de saisir, stocker et transmettre les données liées aux processus des soins des patients. Généralement, ils intègrent des modules de prescription médicale et d’administration des soins (par les infirmiers). Contrairement aux solutions développées sur mesure, ces logiciels sont généralement « sur étagère », c’est-à-dire qu’ils sont développés et commercialisés par un éditeur spécialisé, et non développés pour chaque contexte ou projet particulier.
Lancé en 2011 par la Direction générale de l’offre de soins, le programme français Hôpital Numérique visait à moderniser les systèmes d’information hospitaliers. Les politiques d’incitation à la généralisation des DPI se sont appuyées sur de multiples promesses, telles que traçabilité des informations de soin ou réduction du temps de saisie des données dans un seul logiciel (grâce à une base de données unique, complétant ou se substituant aux divers logiciels métiers ou pour chaque spécialité médicale).
En théorie, le DPI était séduisant et aurait dû reléguer les dossiers patients « papier » au rang d’antiquités. Malheureusement, les logiciels support du DPI ont été conçus et implémentés sur le modèle des progiciels de gestion intégrés, à savoir une vision standardisée des processus de soin, qui s’est heurtée à la réalité diversifiée des contextes locaux et des différentes spécialités.
Quand les logiciels ont des effets indésirables
Les effets indésirables des DPI sont connus dans la littérature depuis de nombreuses années. Dès 2005, une étude mettait en évidence l’augmentation inattendue de la mortalité des patients après l’implémentation d’un logiciel de prescription des médicaments. Par la suite, de nombreuses études ont révélé les conséquences négatives de l’implémentation et de l’usage des logiciels de prescription, puis des dossiers patients informatisés.
Des problèmes de conception doublés de problèmes techniques
Cette utilisabilité insuffisante entraîne une augmentation du temps de documentation par les professionnels de santé. Ceux-ci passent de plus en plus de temps à saisir, vérifier ou consulter les données du DPI. Qui plus est, ces logiciels peu intuitifs exigent une formation supplémentaire, et surtout une adaptation. Il faut en effet paramétrer ces logiciels standards en fonction des processus et des services existant dans chaque hôpital et chaque service clinique.
Ainsi, plus de 20 ans après les premières études et l’accumulation des preuves et des connaissances sur les problèmes engendrés par les dossiers patients informatisés, les médias continuent à régulièrement rendre compte des difficultés d’usage contribuant au stress des médecins et aux erreurs médicales.
En France, on manque de données
Qu’en est-il en France ? Les études françaises sur l’usage du DPI sont peu nombreuses. On peut citer ici l’étude de Frédéric Kletz, menée sur une cinquantaine d’établissements, qui visait à évaluer les apports du DPI pour les professionnels de santé. Elle dresse un bilan mitigé du dossier patient informatisé. Une thèse de doctorat très récente permet également de documenter et d’analyser les conséquences du DPI dans un hôpital français.
À défaut d’études et évaluations scientifiques, ainsi que de bases de données publiques et ouvertes sur les incidents liés aux DPI, on constate que divers articles de presse relatent des problèmes similaires) à ceux identifiés par la littérature internationale depuis longtemps.
Si le retard pris par notre pays en matière de documentation de ces dysfonctionnements ne permet pas de conclusion définitive, il est permis de penser que les problèmes existants sont les mêmes que chez nos voisins. Cependant, l’absence de collecte d’information sur les problèmes d’usage des DPI (alors qu’elle existe pour les médicaments et le matériel médical) empêche de capitaliser sur ces expériences pour améliorer et fiabiliser l’usage des technologies de l’information en santé, et améliorer les processus de conception.
Diverses études ont néanmoins proposé de bonnes pratiques pour améliorer le fonctionnement, l’ergonomie et l’usage des DPI, dont il faudrait s’en inspirer.
Des solutions peu appliquées
Côté éditeurs, l’évaluation et la certification technique peuvent s’appuyer sur des normes internationales (par exemple les normes ISO pour la sécurité informatique – ISO 27000 – ou de qualité de service de l’information – ISO 20000), le développement en mode agile avec la prise en compte des spécificités des utilisateurs (norme ISO 9241-210) et la certification de l’utilisabilité des dispositifs médicaux. Cependant, ces normes ne sont pas obligatoires. La Haute Autorité de Santé propose une certification facultative pour les logiciels d’aide à la prescription et, par extension, des DPI intégrant une aide à la prescription. D’autres recommandations portent sur les bonnes pratiques liées au développement des logiciels et applications mobiles en santé.
Côté organisations de santé, l’adaptation des processus de soin, doublée d’un paramétrage fin des DPI, exigent des compétences internes dans les organisations, l’accompagnement au changement et la formation des professionnels de santé. Le premier Conseil du numérique en santé a d’ailleurs a mis en avant l’importance de l’accompagnement des acteurs afin de réaliser les transformations numériques de la santé prévues par le plan « Ma Santé 2022 ».
Mais qu’elles concernent les éditeurs de logiciels ou les organisations de santé, ces bonnes pratiques exigent du temps, des ressources humaines et des dépenses supplémentaires, lesquelles ne sont pas toujours considérés comme prioritaires. Une solution pourrait être de favoriser les collaborations entre établissements de soins, éditeurs de logiciels et chercheurs en informatique et en sciences humaines et sociales (ergonomie, sciences de gestion, sociologie…).
La France devrait également se doter d’une base de report d’incidents liés aux DPI et autres logiciels de santé qui soit publique et exploitable à des fins de recherche. Certes, dans le cadre du dispositif national de signalement des incidents informatiques dans les organisations de santé mis en place en 2017, 140 incidents ont été répertoriés un an après. Cependant, aucune communication n’a été faite sur la nature et la portée de ces incidents. L’information sur les incidents liés aux logiciels de santé devrait être plus transparente pour favoriser les améliorations à la fois des logiciels et des processus de soin dans lesquels l’usage de ces logiciels s’insère.
Aux États-Unis, même si la base MAUDE n’est pas supposée recevoir des incidents sur les DPI (elle ne vise que les dispositifs médicaux dont les DPI américains sont exclus), elle regorge de nombreuses et précieuses informations sur les problèmes d’utilisabilité, d’implémentation, ou encore sur les mésusages et les erreurs d’utilisation des dossiers patients informatisés.
Passer des recommandations aux certifications obligatoires
La justice européenne a récemment reconnu qu’un « logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins, notamment, de détecter les contre‑indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical ».
Ce jugement explicite le fait que les fonctionnalités d’aide à la prescription et de vérification des prescriptions des médicaments sont des dispositifs médicaux, donc aussi les DPI qui intègrent ces fonctionnalités. À ce titre, ces logiciels doivent répondre à de nombreuses exigences, dont certaines d’ergonomie (utilisabilité), pour être certifiés, recevoir le marquage CE et être mis sur le marché. Ces exigences ne sont cependant pas évidentes à satisfaire pour des fonctionnalités aussi complexes que la prescription.
Par ailleurs, ces certifications sont chères et prennent du temps. Leur mise en place risque donc de favoriser les grandes entreprises au détriment des start-up. Pour pallier ce problème, on peut envisager un fléchage de financements publics afin de prendre en charge ces coûts, puisque l’objectif est in fine de construire des services de santé sécurisés pour les patients. Quoi qu’il en soit, normes et certifications doivent être imposées par le régulateur. Imaginerions-nous, dans le secteur aéronautique ou nucléaire, des logiciels qui soient laissés au seul bon vouloir des acteurs ?
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