#Covid-19 : #Burn-out et #Reconversion , les soignants sont à bout de force
Dire qu’ils sont éreintés serait un euphémisme. Qu’ils soient infirmiers ou aides-soignants, beaucoup sont déjà au bout du rouleau. La faute à la crise sanitaire, bien sûr. La faute, aussi, à des années de coupes budgétaires qui ont amputé les hôpitaux d’une partie de leur capacité de travail et de leur matériel et fait supporter le poids de ces manques aux soignants, contraints de se démultiplier.
La pandémie n’a fait que révéler les failles d’un système sanitaire tenu à bout de bras par une armée de soignants dévoués qui aujourd’hui commencent déjà à rendre la blouse en masse alors que la deuxième vague déferle sur la France.
Deux fois plus de situations d’épuisement professionnel
Au point que l’Ordre des infirmiers enregistrait le 11 octobre dernier un « quasi doublement des situations d’épuisement professionnels en quelques mois », selon son enquête menée sur 60 000 infirmiers.
« Cinq à six décès par jour ça laisse des traces ! », confie Virginie, infirmière à la Pitié-Salpêtrière (Paris). En 24 ans de carrière, elle n’avait jamais vécu ça. « En plus de l’usure normale des choses se rajoutent les : qu’est-ce qu’on va avoir ? Qu’est ce qui va se passer ? Dans quelles conditions ? »
Des missions qui ne sont pas faites pour eux
Elle qui officie normalement dans le service de chirurgie digestive craint d’être affectée dans l’unité Covid qui doit ouvrir la semaine prochaine. Plus que la peur du virus, c’est la peur de mal faire son travail qui l’empêche pour l’instant de se porter volontaire.
Les infirmiers en réanimation, c’est un ou deux patients. Nous [au service chirurgie digestive, ndlr], c’est entre 10 et 15. C’est pas la même prise en charge. On ne gère pas les ventilateurs, les produits anesthésiques. Est-ce que ça va être un bien pour les patients de se retrouver avec du personnel à moitié formé ? Je peux apprendre mais je vais être hyper stressée.
Selon l’Ordre des infirmiers, plus de 30% d’entre eux « exercent des tâches qui sortent de leur champ de compétences réglementaire pour faire face au surcroit d’activité général lié au Covid ».
Justine est aide-soignante dans un Ehpad à Rennes. Elle s’occupe des premiers soins aux malades mais n’a pas les mêmes compétences que les infirmiers.
Pendant le confinement au printemps, elle a dû faire face aux premiers cas de Covid recensés dans son établissement. « C’était le samedi, se rappelle-t-elle. Il n’y avait ni cadre ni infirmière. Le lundi, la directrice est venue nous voir pour savoir comment on s’était organisés. Ça a été le coup de massue. On pensait faire ça bien. Mais l’infirmière a dit que ce n’était pas bien du tout. »
Un manque criant de personnel
Pointer du doigt l’incompétence masque le manque endémique de personnel dans les établissements tant hospitaliers que dans les Ehpad. « Cela fait longtemps qu’on dit que dans les services, on manque de personnel, et là on le ressent », appuie le président de la Fédération nationale des associations d’aides-soignants (FNAAS), Guillaume Gontard.
L’enquête de l’Ordre National des Infirmiers cible les problèmes liés à l’épidémie :
– Quasi doublement des situations d’épuisement professionnel en quelques mois.
– Plus d’un tiers des infirmiers salariés indiquent être en effectifs réduits par rapport à la normale.
– 57% des infirmiers salariés estiment ne pas disposer du temps nécessaire pour prendre en charge les patients.
– Deux tiers des infirmiers déclarent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise.
– Plus de 30% des infirmiers exercent des tâches qui sortent de leur champ de compétences réglementaire pour faire face au surcroit d’activité général lié au Covid.
– 43% des infirmiers ne savent pas s’ils seront toujours infirmiers dans 5 ans.
Tous crient leur désarroi face à la réduction du personnel et à l’accélération de la cadence dans les soins aux personnes. Car qui dit mauvais temps pour les soignants, dit mauvais temps pour les patients. « On doit enchaîner les patients et quand on va vite, on ne se sent pas bien, on a l’impression de ne pas bien faire notre travail », reprend Guillaume Gontard.
Pour Justine, le premier confinement a été une épreuve qu’elle ne se sent plus capable de recommencer. « Si je dois être dans l’aile Covid [de l’Ehpad, ndlr], je dirai non. C’est trop intensif. Pendant le confinement, j’étais encore chez mes parents mais je me confinais moi-même dans ma chambre pour ne pas toucher mes parents qui sont à risque. Cela a été très compliqué. »
Un traumatisme qui dure
Chez les infirmiers, le traumatisme est tout aussi important. « 10% des infirmières sont encore aujourd’hui en arrêt maladie, en état de dépression, d’épuisement professionnel et pour certaines en stress post traumatique », estime Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI).
La fatigue s’est elle aussi accumulée. Un professionnel sur cinq déclare n’avoir « pas pu prendre de congés depuis mars dernier ». En cause, le rattrapage des autres soins non prodigués pendant le premier confinement.
Après la fin de la première vague, tous ces patients chroniques non-Covid qui avaient été écartés pendant trois mois, il a fallu essayer de les caser autant que possible pour essayer de rattraper le retard. Cela représente une charge de travail très importante.
Pour les remercier, le gouvernement avait annoncé en juin une prime de 1 500 euros pour les soignants ayant travaillé dans les départements les plus touchés par le Covid-19 pendant la première vague, et de 500 euros pour les soignants des autres départements.
Accueillie avec soulagement, cette prime a rapidement suscité l’amertume d’une partie du corps médical. « En plein confinement, j’étais enceinte et suis venue bosser… Mais comme je suis intérimaire, je n’ai pas eu la prime ! », s’indigne Nadège, aide-soignante dans le Lot. Derrière les discours, beaucoup fustigent un manque de reconnaissance de leur travail par l’Etat.
Manque de reconnaissance
Outre la prime, la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle divise, car réservée aux soignants décédés ou ayant été sous assistance respiratoire. « Pour 90% d’entre nous, on nous a refusé la reconnaissance en maladie professionnelle », grogne Thierry Amouroux.
Tout dévoués qu’ils sont à leur métier, et malgré des horaires et des semaines qui n’en finissent pas, leur salaire reste toujours source d’insatisfaction. Voire de dégoût. Quand Marie, étudiante infirmière à Alès (Gard), a été appelée en renfort pendant la première vague, elle n’a pas hésité. Avant de déchanter.
Payée 1,04 euro par heure, soit « 38 euros par semaine », selon ses calculs, elle n’a pas non plus eu droit à la prime. Elle n’était (que) stagiaire. Dans sa promo, beaucoup ont pris des crédits étudiants importants, sont retournés vivre chez leurs parents ou vivent au crochet de leur conjoint le temps de leurs études. « Cela fait trois ans que je n’ai pas eu de vacances », soupire Marie.
Des diplômés mal formés
De retour en cours, elle se dit aujourd’hui épuisée. « On est mal formés. Certains intervenant censés nous former ne viennent pas à cause du Covid. D’autres viennent mais ont le Covid… » Pour elle et pour de nombreux étudiants, ces rêves médicaux vont prendre fin après l’obtention du diplôme, dans quelques mois.
On a plus envie de travailler dans ce métier. Ce ne sont pas nos valeurs, pas nos principes. On ne traite pas des chiffres mais des gens avec une identité, une famille, des enfants !
Le porte-parole du SNPI confirme un désengagement massif des étudiants. « Ceux qui quittent le métier, ce sont essentiellement des jeunes qui partent à l’étranger, vont en libéral ou se reconvertissent », note-t-il.
Les soignants se reconvertissent
Marie soupire : « Ma grand-mère, ma mère… Le médical c’est dans la famille. Je suis née là-dedans. Je n’ai jamais pensé que dans ma vie, je ferais autre chose que dans le médical ! Mais je vais me réorienter dans l’enseignement. Depuis le Covid, c’est devenu terrible. On n’a plus aucun moyen. Quoi qu’on fasse, on ne nous écoute pas. »
Comme elle, 43% des infirmiers ne savent pas s’ils seront toujours infirmiers dans cinq ans. Le reconversions professionnelles fleurissent à la pelle. Qui, alors, pour venir en renfort dans les hôpitaux pour affronter cette deuxième vague, si les jeunes et les soignants confirmés s’en vont ?
« On forme 26 000 infirmiers par an », souligne Thierry Amouroux. « 180 000 infirmières ont cessé d’exercer. » Seule solution, selon lui, déployer un « plan Marshall de l’hôpital pour atteindre le niveau de l’Allemagne, créer des postes et revaloriser les salaires ».
En attendant, Virginie, elle, n’a pas lâché. Epuisée, elle sait qu’elle restera, coûte que coûte. Elle prévient tout de même : « Je ferai mon maximum mais je ne ferai pas de miracles. »;;;