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Quel système de santé à l’heure de la #Médecine 4.0 ?

Fondé sur des principes de solidarité et de redistribution, le modèle de santé français fait face à un défi technologique majeur. Alors que les nouvelles technologies issues de la quatrième révolution industrielle offrent des solutions thérapeutiques innovantes, l’intégration de la « médecine 4.0 » dans les pratiques médicales reste incertaine.
En pleine crise du Covid-19, accompagner une industrie pharmaceutique dynamique et responsable est pourtant une priorité. (*) Par Thomas Bourleaud, consultant en stratégie, spécialiste en droit hospitalier.

La « médecine 4.0 », une médecine personnalisée

Jumeau digital, impressions 3D, réalité virtuelle… Depuis le début des années 2000, la santé est entrée dans une nouvelle ère avec l’introduction du numérique et des technologies issues de la 4e Révolution industrielle dans le parcours de soin : c’est l’avènement de la « médecine 4.0 », pendant sectoriel de l’« industrie 4.0 ».

En transformant la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies, ces nouvelles technologies permettent une approche plus personnalisée de la médecine. Sans remplacer le médecin, elles proposent des outils et services pour venir en support à la prise en charge et à la décision clinique dans de multiples domaines. La recherche académique regorge d’exemples : mise au point d’un modèle de cerveau virtuel pour améliorer les traitements de l’épilepsie[1], automatisation du suivi médical, présence de capteurs sensoriels dans les blocs opératoires pour accompagner le chirurgien[2], édition génomique en oncologie (le prix Nobel de chimie 2020 a été attribué à Emmanuelle Carpentier et Jennifer Doudna pour leur invention de la technique du CRISPR-Cas9), etc.

Friande d’objets connectés et d’applications digitales de suivi de l’état de santé, la population encourage l’usage de ces nouvelles technologies dans la santé. L’industrie de la santé s’engage en ce sens, notamment par l’intermédiaire du Digital Pharma Lab qui assure le lien entre les start-ups de la pharmatech et les entreprises pharmaceutiques pour accélérer l’innovation digitale du secteur. Pourtant, l’exploitation de ces innovations demeure sous-optimale en France pour des raisons règlementaires, financières et comportementales. Le cadre de régulation de la santé doit donc être redéfini à l’aune de la médecine 4.0.

Réussir la transformation digitale

La digitalisation du parcours de soin est un chantier prioritaire, en particulier l’optimisation du « dossier médical partagé » et l’intégration des technologies d’intelligence artificielle (accélération dans l’analyse de données, aide au diagnostic, traitements personnalisés, etc.). La gestion et le partage efficace de données interopérables constituent le socle d’une médecine innovante et collaborative.

Modernisant le Système National des Données de Santé (SNDS), la création du Health Data Hub (HDH) en 2019 soutient les projets innovants en matière d’analyse de données et permet aux scientifiques d’accéder et d’exploiter rapidement des données médicales anonymisées. Si l’ambition du HDH est bien orientée, son articulation avec l’Espace européen des données de santé (2021) sera la clef pour construire un cadre harmonisé de régulation des données médicales.

Faciliter l’accès au marché des médicaments innovants

L’existence d’un décalage entre les innovations développées et celles adoptées témoigne de l’inertie du système de santé. L’arrivée de traitements issus des biotechnologies, de l’immunothérapie ou encore des thérapies géniques, bouleverse un modèle qui valorise traditionnellement les innovations dites progressives. Dès lors, la recherche d’un meilleur équilibre entre la complexité des essais cliniques (lenteur des procédures, coût élevé) et le raccourcissement des cycles d’innovation est aujourd’hui nécessaire.

Sans négliger l’exigence de précaution, le temps d’accès au progrès thérapeutique pourrait être réduit. En France, entre l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché et l’arrivée effective du médicament, le délai est d’environ 1 an et demi, bien au-delà des 180 jours prescrits par la législation européenne. Ce retard s’ajoute aux onze années en moyenne nécessaires pour développer un médicament. Les dispositifs ATU (autorisation temporaire d’utilisation) et RTU (recommandation temporaire d’utilisation) offrent bien la possibilité d’accéder à des traitements en cours de développement, mais ils demeurent des régimes dérogatoires réservés aux patients atteints de maladies graves ou en impasse thérapeutique. Si la création par le gouvernement d’un dossier unique pour les ATU et RTU devrait permettre de réduire la durée d’examen des demandes, le fond du problème reste à régler.

Dans ce contexte, la France pourrait envisager la mise en place d’un organe de gouvernance partagée, à l’image du Health Technologies Adoption Programme (HTAP) au Royaume-Uni, afin d’évaluer les technologies à fort potentiel et assurer un pilotage efficace de leurs applications dans la santé.

Repenser le modèle de tarification du médicament

Le modèle économique du médicament semble également inadapté aux dernières innovations thérapeutiques. Les prix des médicaments mis sur le marché sont actuellement fixés par le Comité économique des produits de santé (CEPS) à la suite d’une négociation complexe avec l’industriel. Souvent élevés, ces prix sont justifiés par la nécessité de couvrir les efforts de recherche réalisés et à venir (1,5 milliard d’euros par médicament en moyenne[3]) et les économies réalisées par l’existence de nouveaux traitements (dépenses d’hospitalisation, arrêts de travail, etc.)[4].

Force est toutefois de constater que le coût élevé de ces innovations pose un défi de soutenabilité financière pour le système de santé « à la française », dont l’ADN repose sur le principe d’accès universel au médicament. C’est d’autant plus le cas en période de crise sanitaire : alors qu’il était déjà sous tension du fait de l’accroissement des dépenses et des investissements, le déficit de l’assurance-maladie devrait atteindre le niveau record de 31,1 milliards d’euros en 2020, contre 1,46 milliard un an plus tôt.

Le processus de fixation du prix des médicaments devrait donc être adapté aux types d’innovation et inclure l’ensemble des parties prenantes dans la négociation (régulateur, producteur, patients) afin d’assurer une réelle transparence. Préconisée par le rapport Polton en 2015[5], la mise en place d’un indicateur de valeur thérapeutique relative (VTR) dans l’évaluation médico-économique du médicament va dans la bonne direction, tout comme la possibilité de faire varier le prix du médicament en fonction de sa performance constatée en vie réelle.

La santé de demain sera connectée et high-tech. Afin de réussir la transition vers cette « médecine 4.0 », la collaboration de l’ensemble des parties prenantes est indispensable. Un effort de sensibilisation de la population professionnelle et la mise en place de partenariats entre les différents acteurs constituent les premiers jalons d’un modèle de santé innovant et durable.