L’#Eloquence en #Médecine
Il y a deux arts qui ne paraissent rien avoir en commun entre eux, la parole qui contient l’art de persuader au moyen des émotions et l’art de convaincre au moyen des concepts et la médecine qui traditionnellement vise à soigner. Alors que le premier s’adresse à l’esprit, le second porte sur le corps. Tout semble donc les opposer, pourtant, il y a une relation étroite et des influences réciproques entre ces deux arts.
La médecine doit se situer à la croisée de l’art de convaincre, mais aussi de persuader.
Dans le Gorgias de Platon, il y a une opposition entre la Philosophie qui se prétend dépositaire du savoir et de l’art de convaincre et la Rhétorique, qui revendique pouvoir persuader, dans l’ignorance du sujet, par la faconde. Elle conduit Socrate, défenseur de la première posture à l’équation suivante (465b-e) : « ce que la toilette est à la gymnastique, la cuisine l’est à la médecine, ou plutôt que ce que la toilette est à la gymnastique, la sophistique l’est à la législation, et que ce que la cuisine est à la médecine, la rhétorique l’est à la justice ». La rhétorique est l’art de la séduction par la manipulation des sentiments, elle est l’illusion, le paraître du discours, sa forme dénuée de fond quand la Philosophie entend posséder l’être et la vérité des choses. Si le médecin soigne le corps, c’est au même titre que le philosophe accouche l’esprit : par les connaissances démonstratives. Pourtant, et Socrate, ce paradoxe ambulant, véritable moine sans Dieu, sobre dans l’ébriété, ascète amateur de jeunes garçons, est précisément ce défenseur du convaincre, qui n’hésite pas à user de l’art de manipuler ses interlocuteurs et lecteurs pour construire le savoir philosophique. C’est à ce titre qu’on peut se demander si le médecin ne devrait pas chercher, à l’instar de Socrate, à sortir du seul champ du connaître, pour mieux construire sa relation de confiance à son patient, à maîtriser l’éloquence !
L’information médicale
Le code de déontologie stipule que « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination. Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »
Le médecin s’adressant à un patient dans sa singularité, son discours doit être adapté à la disponibilité psychique et cognitive du patient. Cependant, il ne faut pas donner de faux espoirs en amoindrissant la portée du diagnostic ou la réalité du pronostic. La communication médicale doit tenir compte de deux pôles de tension. Dans le cas de l’annonce d’une maladie grave, le médecin doit nommer la maladie et ses principales conséquences. De l’autre côté, le patient (et parfois ses aidants) doit prendre conscience de la réalité de son état médical afin de percevoir pleinement ses enjeux personnels et sociaux – pour y remédier au mieux ; et pour pouvoir suivre activement son traitement et ceux à venir. D’autre part, le médecin doit s’efforcer de réaliser cette annonce de façon à atténuer autant que possible la brutalité ressentie des informations.
La communication d’un médecin avec un malade ne peut se résumer qu’à la simple transmission d’informations. L’éducation thérapeutique du patient est un processus continu, dont le but est d’aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. L’éducation thérapeutique délivrée par un professionnel de santé a pour but d’aider les patients ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie.
Communiquer avec un patient est donc un exercice subtil, car le médecin doit trouver un discours approprié au patient et adapté pour la prise en charge médicale. C’est là qu’entre en jeu l’éloquence du médecin.
L’éloquence du médecin
Selon Cicéron, l’éloquence est composée de quatre qualités : la clarté, l’élégance, la correction et la pertinence. Le médecin éloquent est celui qui délivre l’information avec clarté, justesse, vérité dans le but de convaincre son patient. Convaincre le patient des principes de prévention, de dépistage, de l’importance de suivre un traitement de manière optimale, de surveiller de manière assidue une maladie. L’art de persuader ne doit pas pour autant se cacher derrière un langage technique difficilement compréhensible, mais doit utiliser les mots justes, un ton adapté, une attitude empathique afin de créer une relation de confiance et que le patient agisse en connaissance de cause.
L’éloquence du médecin est utile également dans la relation qu’il entretient avec ses pairs dans la transmission d’enseignements. Enseignement de la médecine et communications orales scientifiques font partie intégrante de la profession médicale et contribuent à perpétuer une médecine d’excellence et la mise à jour des connaissances avec les dernières avancées. La transformation digitale de notre société a modifié la forme et le contenu de l’information médicale transmise. La communication par les médias, les chaînes d’information continue et les réseaux sociaux mettent en scène des spécialistes qui peuvent faire passer des messages forts et à une cible très large sans pour autant transmettre des messages validés. En temps de crise sanitaire, des messages scientifiques sont exposés au public afin d’expliquer, sensibiliser et protéger la population sans certaines fois d’esprit critique. La rhétorique employée pour transmettre ses informations revête là une importance capitale et les enjeux sont majeurs.
La révolution du discours médical
L’éloquence médicale a servi à créer un mythe de toute-puissance, un discours visant à rassurer les populations, voire à exploiter leur naïveté. Soyons francs : le paternalisme n’a pas complètement disparu, le patient n’est pas toujours au centre et la recherche d’intérêts personnels peut dicter une partie des comportements. En effet, la rhétorique du médecin a ses limites. L’académie de médecine a dit en Mai 2020 que « La vérité scientifique ne se décrète pas à l’applaudimètre. Elle n’émerge pas du discours politique, ni des pétitions, ni des réseaux sociaux. En science, ce n’est ni le poids majoritaire ni l’argument d’autorité qui font foi ».
Deux modèles de la relation médecin-patient existent. Dans le modèle historique paternaliste, le médecin est décideur et propose la solution la plus adaptée à la maladie. Dans le modèle informatif actuel, héritier des droits de l’homme et de la loi du 4 mars 2002, qui reconnaît au patient un droit à l’information, le patient est décideur et le médecin doit proposer les différentes options avec leurs avantages et leurs inconvénients et le patient prend la décision. Les limites du modèle actuel sont la compréhension imparfaite des propositions médicales et les barrages possibles liés aux représentations du patient (sa difficulté à comprendre l’annonce d’une maladie grave par exemple). Quoiqu’il en soit, le discours médical est capital afin que le patient prenne une décision éclairée.
Demain, avec l’essor du « big data » et de l’intelligence artificielle, le diagnostic et le choix du traitement seront rendus par l’ordinateur. En caricaturant un peu l’avenir, le rôle du médecin sera d’accompagner moralement et d’aider. Si ces progrès vont permettre d’exercer une médecine plus individuelle, ils n’apporteront pas toujours la solution au malade considéré comme une personne humaine. La médecine moderne est de plus en plus performante, mais nous avons constaté qu’elle laissait souvent l’impression de s’occuper plus de la maladie que du malade. Pourtant, c’est justement à ce moment que le patient a le plus besoin qu’on s’occupe de lui, qu’on l’aide à se reconstruire.
C’est ainsi que l’on passe d’une médecine paternaliste propre à chaque médecin à une médecine informative plus collective, puis à une médecine individualisée grâce aux technologies, et finalement à une médecine intégrative personnalisée qui place le patient au centre des préoccupations. Plus que n’importe quel autre domaine, le discours médical fait face à des questions radicalement nouvelles : numérisation, intelligence artificielle, robotisation, ubérisation; mais aussi, biais dans la recherche, marketing des laboratoires pharmaceutiques, émergences de puissances numériques. Toutes ces évolutions bouleversent la condition humaine et ont un impact mondial. Elles exigent une révolution du discours, bien au-delà de simples ajustements. Et c’est parce que le médecin sera dépositaire de l’art de l’éloquence, parce qu’il ne sera pas simplement le savant face à l’ignorance, mais aussi celui qui maîtrise les formes du discours, qu’il pourra produire une médecine pédagogique et un meilleur accompagnement de ses patients.
Par Romain Lambret, professeur de philosophie et conférencier
Et Nathaniel Scher, médecin spécialiste en oncologie et radiothérapie, à Clinique Hartmann de Radiothérapie et d’Oncologie (HORG) et à l’Institut Rafaël.
source caducee.net