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#Vaccination de l’#enfant contre le #Covid19 : des enjeux éthiques inédits

Aux États-Unis, la vaccination contre le Covid vient d’être étendue aux enfants de 5 à 11 ans (Le soignant échange avec la petite fille de 11 ans qu’il va vacciner. San José, Californie, le 3 novembre dernier.) Justin Sullivan/Getty Images/AFP

Emmanuel Hirsch, Université Paris-Saclay

Aux États-Unis, la vaccination des enfants contre le Covid-19 vient d’être décidée. Les autorités d’évaluation scientifique ont estimé cette stratégie justifiée et acceptable au regard du désavantage possible d’une non-vaccination. Cette priorisation de la vaccination à l’ensemble des habitants du pays aurait pu néanmoins être confrontée aux données du rapport publié le 15 septembre 2021 par le PNUD, l’OMS et l’Université d’Oxford pointant que seuls 3,07 % des populations de pays à revenu faible ou moyen avaient bénéficié d’une première dose de vaccin.

Des points de vue santé publique, éthique et géopolitique, une telle hiérarchisation dans l’échelle des urgences sanitaires, qui ne s’imposait pas à l’égard de l’ensemble des enfants américains, me paraît révélatrice de considérations politiques discutables au regard du bien commun, et de nature à fragiliser la crédibilité des résolutions réaffirmées par le G20 le 31 octobre visant la vaccination de 40 % des populations du monde d’ici la fin 2021.

Dans son avis du 9 juin 2021 « Enjeux éthiques relatifs à la vaccination contre la Covid-19 des enfants et des adolescents », le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) considérait : « [qu’] à ce jour la vaccination des enfants de moins de 12 ans ne semble pas éthiquement et scientifiquement acceptable, en grande partie parce qu’il n’existe aucune étude évaluant la sécurité des vaccins contre le Covid-19 dans cette population. » Des données récentes tirées d’essais cliniques ont incité les autorités américaines de régulation à donner leur autorisation.

En France et en Europe, les agences sanitaires procèdent actuellement à leurs propres investigations, de telle sorte que le CCNE pourrait être amené à revoir la teneur de son avis selon leurs conclusions, dans un contexte national désormais favorable à la vaccination : à ce jour 74,6 % des Français sont vaccinés. Pour autant, le bien-fondé de son extension aux enfants fait dès à présent l’objet de réserves, ne serait-ce que parce que la prévalence de l’obésité infantile aggravant l’exposition aux risques du Covid-19 est moindre qu’aux États-Unis.

Une réflexion éthique spécifique

Afin d’anticiper l’éventuelle opportunité de cette vaccination des enfants, il convient d’observer que sa recevabilité éthique suscite nombre de points de tensions qu’il serait pertinent de discuter sans tarder dans le cadre d’un débat public attentif aux spécificités de cette démarche de santé publique. Ils ne concernent pas que des considérations d’ordre biomédical et justifient de sensibiliser les parents à des enjeux qui engagent leurs responsabilités et les confrontent à des dilemmes.

Depuis 2020, j’ai estimé nécessaire d’accompagner les premières vaccinations en France par une réflexion documentée relative aux enjeux humains, éthiques et sociétaux parfois inédits auxquels nous étions confrontés : « Quelles règles éthiques pour organiser la vaccination contre le SARS-CoV-2 en Ehpad ? » ; « Débat : L’obligation vaccinale, une exigence éthique et politique » ; « Débat : La vaccination, entre devoir démocratique et obligation légale ».

Entre la prévalence accordée aux enjeux supérieurs de santé publique au regard de choix personnels, l’évaluation des risques acceptables dans une stratégie vaccinale, les modalités de priorisation, la prise en compte des vulnérabilités socioculturelles du point de vue de l’équité, l’incitation à la vaccination plutôt que son obligation, la gouvernance et l’organisation des dispositifs, les modalités de communication et d’information, le discernement éthique aurait pu davantage intervenir pour éclairer les arbitrages et contribuer à leur acceptabilité sans devoir recourir à des stratagèmes controversés comme ce fut le cas dans la mise en place du passe sanitaire.

Tenons compte de cette expérience ambivalente pour aborder en responsabilité, dans la transparence et la concertation une autre phase de la stratégie vaccinale.

La vaccination d’un mineur, qui d’un point de vue légal est placé sous l’autorité parentale, impose des approches circonstanciées, respectueuses de son intégrité, de son intérêt personnel et de ses droits. Des textes juridiques, éthiques et déontologiques présentent un cadre de nature d’une part à lui assurer une protection nécessaire du fait de ses vulnérabilités, et d’autre part de le reconnaître dans sa faculté d’affirmer son libre choix en tenant compte de sa maturité, de son jugement critique et de sa volonté d’être associé aux choix qui le concernent.

De même qu’en décembre 2020 il a été opportun de prendre en compte les conditions de consentement d’une personne âgée vivant en établissement, en tenant compte des avantages personnels qu’elle pourrait tirer d’une vaccination et tout autant de ses devoirs de réciprocité et de solidarité envers les autres résidents, de même il est nécessaire de consacrer une attention éthique à l’expression explicite de l’adhésion de l’enfant qui pourrait être contraint à être vacciné sans être acteur de la décision.

Il convient, pour lui également, d’apprécier selon des critères incontestables le bénéfice individuel escompté de sa vaccination, et simultanément l’incidence en termes de santé publique qu’elle aurait dans la limitation de la diffusion du virus.

La responsabilisation de l’enfant

À cet égard, il serait regrettable de n’être préoccupé que de la mise en œuvre formelle d’une vaccination, alors que d’autres enjeux peuvent valoriser cette démarche : la responsabilisation de l’enfant dans une décision qui le concerne personnellement et dans son rapport à l’autre, le renforcement d’un sentiment d’appartenance à une société et d’être en capacité d’assumer un acte de citoyenneté et de fraternité.

Être respecté dans sa personne et reconnu partie prenante d’une décision qui l’engage tient à la qualité d’un environnement bienveillant, soucieux de l’informer de manière appropriée et de l’associer à des arbitrages qui peuvent s’avérer délicats car incertains. Du point de vue de leurs conséquences, ils pourraient induire des difficultés au sein de la famille, des jugements péjoratifs à l’égard de l’enfant et même des discriminations dans sa vie sociale.

Afin de contribuer à la dynamique d’une concertation attendue, j’ai retenu quatre points de vigilance pour lesquels il me semble opportun de produire des références qui devraient permettre à chacun de mieux se situer au regard de ses responsabilités en bénéficiant de quelques repères :

1. Intérêt, bénéfice direct,

2. Autorité parentale,

3. Autonomie, reconnaissance de l’opinion de l’enfant,

4. L’assentiment faute de capacité à consentir.

Un adulte, au contraire de l’enfant, bénéficie d’une expérience, d’une capacité d’analyse et d’intelligibilité du réel qui, en dehors des circonstances spécifiques de la perte de ses capacités cognitives, devraient lui permettre de fonder un choix autonome, informé et étayé par une argumentation contradictoire.

Pour autant, on ne saurait révoquer le droit de l’enfant à intervenir dans l’élaboration concertée d’une décision qu’il doit considérer acceptable et soutenable selon ses propres critères d’évaluation des enjeux et ses capacités à y adhérer.

Ainsi, dans le cadre des pratiques soignantes et de la recherche biomédicale, il serait estimé aujourd’hui irrespectueux, inconvenant et inacceptable de ne pas développer une alliance thérapeutique avec l’enfant, en concertation avec ses parents. Il est de bonne pratique de mettre à sa disposition, en y consacrant le temps nécessaire, les éléments explicatifs, de solliciter son assentiment à défaut de son consentement, de respecter son dissentiment ou ses réticences tout en veillant à ce que ses intérêts fondamentaux ne soient pas compromis.

Cette expertise pourrait être utile à l’établissement des règles adaptées à l’inclusion de l’enfant dans la stratégie vaccinale contre le Covid-19, comme cela a déjà été le cas en lui permettant de s’approprier les gestes barrières.

1. Intérêt, bénéfice direct de l’enfant

Dans son avis du 9 juin 2021, le CCNE pose comme principe que « la première condition qui permettrait d’ouvrir la vaccination aux enfants et adolescents serait le bénéfice individuel direct ». Il s’agit là d’un critère déterminant qui est repris dans différents textes, y compris relatifs à la recherche biomédicale dont il conditionne l’acceptabilité.

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

(Article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989)

Le décret n° 2012-855 du 5 juillet 2012 portant publication de la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention d’Oviedo, 4 avril 1997) consacre son article 6 à la « protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir » : « Sous réserve des articles 17 et 20, une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la capacité de consentir, que pour son bénéfice direct. »

La vaccination a pour objectif de protéger la personne et de contribuer à l’immunité collective. La démarche individuelle se conçoit ainsi dans un cadre de réciprocité, de mutualisation de l’engagement. Peut-on dans ce cas estimer que devrait prévaloir le « bénéfice direct » de la personne, s’il s’avérait qu’elle est susceptible d’être le vecteur d’une transmission virale qui, à titre personnel, aurait une incidence limitée sur son état de santé ?

L’intérêt de l’enfant est également de pouvoir évoluer au sein d’une société que n’entravent pas les conséquences de la pandémie, de telle sorte qu’il puisse bénéficier des conditions d’existence les plus favorables à son épanouissement. Son « bénéfice direct » peut dès lors être considéré comme relevant également du « bénéfice indirect » qu’il tirerait d’une atténuation de l’épidémie sur la vie sociale, et notamment de la faculté de maintenir ses relations, ses activités et sa scolarité.

2. Autorité parentale

La responsabilité parentale vise à préserver les intérêts de l’enfant et à lui apporter la protection nécessaire à son épanouissement. Il ne s’agit toutefois pas de l’exercice d’un droit arbitraire, sans condition. Les parents doivent témoigner de bienveillance, de considération, de prévenance et de précaution, tenant compte du souci de reconnaître à l’enfant une faculté d’influer sur ses choix de vie. Ainsi est-il respecté dans ses valeurs, et ses préférences sont-elles prises en compte dans les délibérations qui le concernent.

« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »

(Article 371-1 du code civil)

Une question importante mérite d’être soulevée à propos de la vaccination de l’enfant, comme de son droit à pouvoir accéder à des traitements.

Qu’en serait-il si des parents s’opposaient, sur la base d’une opinion personnelle, en ce cas défavorable à l’intérêt de l’enfant, à une vaccination indiquée ? Le ministère des Solidarités et de la Santé préconise un dispositif à destination des médecins en cas de « refus de soins par les titulaires de l’autorité parentale mettant en péril la santé du patient mineur » : « Lorsque la santé ou l’intégrité corporelle de la personne mineure risque d’être gravement compromise par le refus du représentant légal ou par l’impossibilité de recueillir le consentement de celui-ci, le médecin délivre les soins qui s’imposent. » (Code de la Santé publique, art. L.1111-4)

Le médecin, « au service de l’individu et de la santé publique » (code de la Santé publique, art. R.4127-2), peut alors intervenir comme tiers de recours : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. » (Code de la Santé publique, R.4127-8)

Les fondements médicaux d’une vaccination évaluée au regard de l’intérêt direct de l’enfant devraient constituer les repères auxquels se référer. L’autorité parentale à l’égard d’un tiers en situation de vulnérabilité et de dépendance du fait de son âge, susceptible de subir les préjudices d’une décision qui s’avèrerait contraire à son « bénéfice direct », est donc conditionnée, en certaines circonstances, à son acceptabilité.

Le texte du ministère des Solidarités et de la Santé précédemment mentionné indique que « l’avis du mineur est également recherché dès que ce dernier est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision médicale le concernant ». Cette position permet d’introduire le paragraphe suivant.

3. Autonomie, reconnaissance de l’opinion de l’enfant

La reconnaissance de l’autorité parentale est assortie de la reconnaissance d’une compétence circonstanciée de l’enfant à se prononcer au regard des décisions qui concernent sa capacité d’autonomie et de faire ainsi valoir ce qui importe pour lui. Il est intéressant de comprendre qu’il s’agit là d’une reconnaissance politique de ses droits fondamentaux, ce dont attestent ces deux textes internationaux notamment qui témoignent d’évolutions significatives du statut social de l’enfant. Il convient d’en tenir compte, tout en veillant à ne pas le confronter sans l’assister à des dilemmes qu’il n’est pas en mesure d’affronter seul.

« Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

(Article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant)

« Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité. »

(Article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000)

En ce qui concerne l’inclusion dans une recherche biomédicale, le consentement légal des parents doit être complété par l’accord exprimé par l’enfant. Son adhésion conditionne le rapport moral s’instaurant entre lui et l’équipe médicale qui le considère partenaire d’une décision explicitée. Le Règlement (UE) n°536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, article 32, estime « [qu’]outre le consentement éclairé donné par le représentant désigné légalement, un mineur capable de se forger une opinion et d’évaluer les informations qui lui sont données doit également donner lui-même son accord pour participer à un essai clinique. »

Exprimer son opinion dans la perspective d’une éventuelle vaccination procède d’une démarche qui responsabilise l’enfant et lui permet d’accéder à un statut qui ne saurait lui être contesté. Les parents auront peut-être à découvrir l’intérêt, pour eux, d’une décision partagée avec leur enfant dans un contexte de controverses scientifiques qui donnent prise à des positions publiques contradictoires, parfois peu rassurantes.

L’approche des enjeux de la vaccination contre le Covid-19 ne saurait donc être limitée à des caractéristiques biomédicales et sanitaires. Il s’agit également d’un engagement qui prend une signification politique, d’un acte de citoyenneté que l’enfant pourra assumer dès lors qu’on lui permet d’en saisir la portée.

4. L’assentiment faute de capacité à consentir

Reconnaître le point de vue de l’enfant et tenir compte de sa volonté dans le cadre d’une concertation éclairée, respectueuse de ce qu’il est et de ce qu’il ressent, n’équivaut pas à lui attribuer une capacité légale à consentir. On a cependant constaté que l’alliance morale entre l’enfant et ceux qui interviennent au service de ses intérêts sollicite des pratiques soucieuses de ses facultés de jugement. Des évolutions d’ordre législatif consacreront un jour des évolutions conditionnées par l’évaluation de la maturité et de l’esprit critique de l’enfant en bien des circonstances sans relation directe avec son âge.

On a du reste parfois évoqué la notion de « majorité médicale », certes à préciser, mais qui s’avère pertinente s’agissant de la conscience de leur vécu qu’expriment des enfants atteints de maladie chronique ou en fin de vie. Plutôt que de conférer à l’enfant une autorité pour lui aussi délicate à assumer que pour ses parents, il importe d’être attentif à « l’avis du mineur » et de favoriser son énoncé afin d’en tenir compte, ne serait-ce que pour mieux comprendre ce qu’il attend ou espère de notre part, ce qu’il est prêt ou non à accepter et à supporter.

Le décret n° 2012-855 du 5 juillet 2012 (Convention d’Oviedo) précise que « lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi. L’avis du mineur est pris en considération comme un facteur de plus en plus déterminant, en fonction de son âge et de son degré de maturité. »

« L’intérêt de l’enfant doit demeurer la priorité de la prestation de soins de santé. À cette fin, il convient de garantir les principes suivants : […] l’obtention du consentement éclairé du patient enfant ou de son représentant légal avant tout diagnostic, thérapie, réadaptation ou procédure de recherche sur lui. Dans la plupart des cas, on cherchera à obtenir le consentement d’un ou des parents ou du tuteur, mais il pourra également s’agir parfois d’un membre de la famille élargie, bien qu’il convienne, avant de chercher à obtenir le consentement, de tenir compte des souhaits de l’enfant s’il est apte à les faire connaître. Il conviendra également de tenir compte de l’avis d’un enfant n’ayant pas la capacité légale, mais pouvant exprimer son point de vue. »

(Partie 3 de la Déclaration d’Ottawa sur la santé des enfants publiée par l’Association médicale mondiale en octobre 2020)

En matière de recherche biomédicale, la loi fixe que la position des mineurs réfractaires à l’inclusion dans une étude clinique est déterminante : « Leur adhésion personnelle en vue de leur participation à la recherche biomédicale est recherchée. En toute hypothèse, il ne peut être passé outre à leur refus ou à la révocation de leur acceptation. » (Code de la santé publique, art. L.1122-2)

À défaut de la capacité à consentir, c’est la capacité à assentir qui est privilégiée, l’assentiment étant « [l’] acte par lequel quelqu’un exprime son adhésion, son approbation à une idée, une proposition formulée par un autre. » L’adhésion de l’enfant constitue donc l’enjeu dès lors qu’elle témoigne de l’acceptation volontaire, éclairée et confiante à ce qui lui est proposé. L’article 29 de Déclaration d’Helsinki a été le premier texte de bioéthique à consacrer la notion d’assentiment.

Dans ses « Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains », l’Association médicale mondiale a estimé que l’opinion du mineur (ou du majeur incapable) était digne de respect : « Lorsqu’une personne considérée comme incapable de donner un consentement éclairé est en mesure de donner son assentiment concernant sa participation à la recherche, le médecin doit solliciter cet assentiment en complément du consentement de son représentant légal. Le refus de la personne pouvant potentiellement être impliquée dans la recherche devrait être respecté. »

La loyauté et la rigueur s’imposent dans la démarche concertée d’assentiment, au même titre que dans le processus de consentement.

Fragilités et tensions d’une responsabilité assumée pour l’autre

Le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a diffusé le 25 avril 2019 un document de recommandations : « Le patient mineur ». Cette réflexion synthétise les développements proposés dans mon propos.

En ce qui concerne la vaccination avec pour visée de prémunir de la maladie, de limiter la diffusion du Covid-19 et de préserver les capacités de notre système de santé, le CNOM présente une distinction entre des actes médicaux « usuels » et ceux qui ne le sont pas.

« En matière médicale, une distinction plus affinée permet de dire : qu’entrent sans doute dans la catégorie des actes “usuels”, les soins obligatoires (vaccinations obligatoires), courants (blessures superficielles, infections bénignes…), habituels chez l’enfant (traitement des maladies infantiles ordinaires) ou chez tel enfant en particulier (poursuite d’un traitement ou soin d’une maladie récurrente, car “usuel” n’est pas synonyme de bénin).

Que ne peuvent être considérés comme des actes “usuels” : la décision de soumettre l’enfant à un traitement nécessitant une hospitalisation prolongée, le recours à un traitement lourd (y compris dans un domaine psychothérapeutique) ou comportant des effets secondaires importants, les interventions sous anesthésie générale, la résolution d’arrêter les soins ou de les réduire à un traitement de confort. »

( « Le Patient mineur », CNOM)

J’estime qu’il conviendrait d’être attentif aux arguments et conditions qui permettraient de qualifier d’acte « usuel » la vaccination des enfants contre le Covid-19 ainsi qu’elle est préconisée aux États-Unis. Cela d’autant plus que les stratégies vaccinales sont assorties de règles de vigilance assimilables à celles en vigueur dans le cadre d’une expérimentation biomédicale incluant des personnes qui ne sont pas malades et sont exposées de manière différentielle au virus. Il n’y a donc rien d’anodin à vouloir assimiler cette vaccination à une pratique courante.

La tentation « d’en finir » avec la pandémie est à la fois forte et compréhensible. Pour autant, il convient d’étudier les critères justifiant d’étendre la vaccination aux enfants selon des considérations, des indicateurs, voire des urgences, incontestables, probantes et acceptables.

Nous touchons là à l’un des aspects le plus sensible et complexe du processus décisionnel, dès lors qu’il nous confronte aux fragilités et aux tensions d’une responsabilité assumée pour l’autre dont la faculté de discernement peut s’avérer relative, ce qui le rend dépendant d’un choix qui conditionne son présent et son devenir. Cela peut expliquer la prudence, voire la retenue des instances françaises investies d’une autorité d’expertise scientifique à instaurer, sans y accorder une attention spécifique, cette nouvelle option vaccinale.

On le constate à travers les textes sollicités dans cette réflexion, le formalisme de règles soucieuses de l’intérêt direct de l’enfant et de sa protection contre tout risque indu ou disproportionné, doit être complété par une approche circonstanciée, au cas par cas, de nature à nous prémunir des écueils et des dérives possibles de pratiques systématisées, y compris en invoquant des « intérêts supérieurs ».

Il aurait été sage, dans les circonstances présentes, de créer une concertation sérieuse avec les parents d’une part et les enfants d’autre part, afin d’anticiper, de repérer les enjeux et les tensions que les instances publiques devraient prendre en compte dans l’organisation de la stratégie vaccinale des enfants, spécifique au contexte du Covid-19.

Nous constatons dès à présent que cette éventualité fait apparaître des clivages, des réticences, des inquiétudes et des défiances qui s’étaient pourtant estompés ces dernières semaines qu’il était politiquement et socialement convenu de considérer comme celles du temps venu de « retour à la normale ».


Emmanuel Hirsch vient de publier « Une démocratie endeuillée. Pandémie, premier devoir d’inventaire », 2021.The Conversation

Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.