#SantéConnectée : la médecine 5P au service du patient 3.0
La médecine 5P doit s’appuyer sur les preuves d’un service rendu aux patients
Après la médecine 4P (personnalisée, préventive, prédictive et participative), voici la médecine 5P (ajout de la médecine des preuves). Certains pensent que ce sera la médecine de demain. Ils ont raison, mais la question se pose dès aujourd’hui !
On l’a bien compris, tous ces efforts sémantiques pour définir une autre médecine du XXI ème siècle visent à remplacer la « médecine curative » collective, qui a marqué le siècle dernier, souvent reprochée au système de santé français. Il ne faut néanmoins rien exagérer et se rappeler que cette médecine curative collective a contribué à augmenter l’espérance de vie d’une cinquantaine d’années au cours du XXème siècle. La médecine du XXIème siècle ou médecine 5P, se fonde sur d’immenses espoirs de progression encore plus rapide de l’espérance de vie, que nous apporterait l’ère numérique avec la santé connectée et la génomique.(voir l’illustration de cette analyse dans la photo qui accompagne ce billet)
Certains de nos concitoyens sont convaincus que la médecine française est à bout de souffle et qu’elle doit totalement se rénover. Ils ont tort. Ils doivent savoir que la médecine 5P est déjà pratiquée et que, bien sûr, elle ne pourra que s’amplifier au cours de l’ère numérique avec la recherche, comme l’illustre la photo de ce billet. Nous vivons une évolution de la médecine et non une révolution !
Qu’est-ce que la médecine personnalisée ? C’est en 2000 que cette expression est née aux USA. Des chercheurs du laboratoire pharmaceutique AstraZeneca publient un article dans lequel ils soulignent que « l’identification du profil génétique des patients mènera à une prescription de médicaments plus ciblée, sécuritaire et efficace » (« Le bon médicament, à la bonne personne, au bon moment », ou la médecine personnalisée).
En 2008, le President’s Council of Advisors on Science and Technology (PCAST) définit la médecine personnalisée dans un rapport intitulé “Priorities for Personalized Medicine” qui peut être résumé de la façon suivante:
« La médecine personnalisée consiste à adapter un traitement médical en fonction des caractéristiques individuelles d’un patient. Cette personnalisation ne signifie pas que des médicaments sont créés pour un seul individu. Elle se traduit plutôt par la capacité de classer les individus en sous-populations caractérisées par la prédisposition à certaines maladies ou par la réponse à un traitement particulier. Les mesures préventives ou thérapeutiques sont donc prescrites aux patients qui en bénéficieront tout en évitant d’imposer des effets secondaires aux individus qui n’en tireront pas parti. Les coûts associés à ces effets secondaires sont également évités. »
Enfin, en 2013, Leroy Hood, de l’Institute for Systems Biology, définit la médecine personnalisée en tant que Médecine P4™, avec ses quatre principaux attributs :
- La médecine P4 est personnalisée car elle tient compte du profil génétique ou protéique d’un individu;
- La médecine P4 est préventive, car elle prend en considération les problèmes de santé en se concentrant sur le mieux-être et non la maladie;
- La médecine P4 est prédictive, en indiquant les traitements les plus appropriés pour le patient et en tentant d’éviter les réactions aux médicaments;
- La médecine P4 est participative, amenant les patients à être plus responsables en ce qui concerne leur santé et leurs soins.
Enfin, j’ajouterai que la médecine de l’ère numérique doit être fondée sur les preuves d’un service médical rendu aux patients, notamment lorsqu’elle s’appuie sur la santé connectée et la télémédecine. C’est la médecine 5P. La télémédecine favorise la médecine personnalisée, participative et préventive. Nous rapportons sur ce site régulièrement de nombreuses études scientifiques démontrant les effets bénéfiques de la télémédecine clinique personnalisée.
Prenons l’exemple d’une maladie rénale héréditaire, la polykystose.
Néphrologue de formation, il m’est facile de trouver cet exemple parmi les maladies de rein. La maladie rénale héréditaire appelée « Polykystose autosomique dominante » est responsable d’une insuffisance rénale terminale (mort des deux reins), traitée par dialyse et/ou transplantation rénale, vers l’âge de 60 ans en général. Il peut exister des évolutions plus précoces ou plus tardives. Les gènes associés à cette maladie sont connus depuis une quinzaine d’années. C’est une maladie dominante qui se transmet sur le mode mendélien à chaque génération (50% de la descendance). Cette maladie à une prévalence de 1/1000 dans la population générale. On connait aujourd’hui les anomalies fonctionnelles des gènes à l’origine des kystes qui détruisent progressivement les deux reins. Il existe depuis plusieurs années une recherche pharmacologique intense pour trouver le ou les médicaments qui pourraient maitriser ou inverser l’anomalie fonctionnelle du gène.
Il est possible, depuis plusieurs années, de faire une médecine prédictive, personnalisée et participative chez les enfants d’un couple où l’un des parents est atteint de la polykystose rénale. Faut-il dépister cette maladie génétique chez de jeunes enfants qui ne seront réellement malades qu’à l’âge de 60 ans ? Faut-il les informer dès leur jeunesse ou au début de l’âge adulte?
Toutes ces questions, d’ordre éthique, ont été posées par les professionnels de santé. Et ce sujet a été débattu au sein des Commissions éthiques des Sociétés savantes de néphrologie.
Il ne serait pas acceptable au plan éthique d’utiliser les moyens modernes de la médecine prédictive pour rendre des personnes « génétiquement » malades dès leur enfance, alors qu’ils ne seront « cliniquement » malades et handicapés que vers l’âge de 50 ans ou plus tard. De plus, une telle attitude leur créérait des handicaps de vie sociétale (prêts bancaires, assurances vie, etc..). En quelque sorte, la médecine prédictive créérait un réel handicap de vie et de leur bien être jusqu’à 50-60 ans. Cette médecine personnalisée et participative a été débattue avec les associations de patients atteints de cette maladie génétique qui ont validé la position éthique des médecins.Quand les preuves scientifiques d’un traitement efficace, préventif ou curatif qui aurait un impact positif sur l’évolution de la maladie n’existent pas, la médecine prédictive n’a pas sa place.
Il existe de nombreux autres exemples où la médecine prédictive serait possible (dans les cancers, les maladies cardiovasculaires et métaboliques héréditaires), mais où les traitements éradiquant la maladie où la prévenant ne sont pas encore connus ou dont l’efficacité n’est pas encore démontrée. Tant que la médecine ne pourra pas proposer un traitement curatif « personnalisé » et/ou un traitement préventif reposant sur les preuves, le débat éthique existera sur l’intérèt pour une personne de connaitre très tôt dans sa vie ses risques génétiques.
Le cas d’Angelina Joly, souvent cité en exemple d’une réussite de la médecine prédictive, reste un cas particulier, propre aux cancers du sein et de l’ovaire. De nombreux autres organes à risque de cancer ne peuvent être enlevés « préventivement ». De plus, la loi française actuelle devrait changer pour autoriser une chirurgie préventive d’un risque génétique.
La médecine des preuves doit demeurer le fil rouge de la conduite médicale. La médecine prédictive suscite indiscutablement de grands espoirs, mais les années de recherche seront encore longues avant que l’homme « sans aucun risque génétique de maladie » puisse espérer vivre plusieurs centaines d’années.