Professeur Bernard Debré – Le ras-le-bol des médecins
Qu’ils soient jeunes ou plus âgés, les médecins en ont assez de se faire injurier, critiquer, traiter de voleurs. On a vraiment l’impression que les médecins sont devenus les « bêtes noires » des journalistes et de certains politiques.
Faut-il rappeler que la médecine française a été la meilleure du monde pendant des années, que, maintenant, elle est en train de rétrograder de façon importante?
Les Britanniques, dont on disait « pis que pendre » il y a encore 10 ans, ont su faire leur mutation et possèdent une médecine qui est de haut niveau. Les Allemands ont fait également beaucoup d’efforts. Seule la France n’en a pas fait.
Rappelons quelques éléments clés.
Les études médicales durent entre 10 et 18 ans. Je dis bien 18 ans car, quand on veut se spécialiser en chirurgie ou même dans des disciplines très pointues, il faut continuer ses études très longtemps.
Les médecins généralistes ont, eux aussi, des études longues, très longues qui nécessitent, tout au long de leur carrière, de se remettre à jour, pour ne pas dire se remettre en question.
Les jeunes internes travaillent sans arrêt, assumant des gardes, des astreintes, sans compter leur temps. Certes, leurs conditions de vie sont meilleures qu’il y a 40 ans, quand on pouvait être de garde pendant 10 ou 12 jours consécutifs, mais il n’empêche, les récupérations post-gardes sont souvent illusoires, impossibles à assumer.
Les médecins généralistes, pour gagner leur vie dignement, sont forcés de voir des dizaines de malades par jour. 23 euros la consultation ! Moins cher qu’un déjeuner au restaurant. Beaucoup moins cher que de faire venir le plombier chez soi.
Cette consultation n’a pas été (ou peu) revalorisée depuis des années et des années ou, lorsqu’elle l’a été, ce fut misérable. Mais les médecins doivent aussi payer une secrétaire, des locaux, du matériel, subir de plus en plus la mauvaise humeur des patients, voire même des procès parfois inconsidérés et injustifiés. Leur vie est devenue non pas un cauchemar (ce serait exagérer), mais difficile, beaucoup plus difficile qu’avant.
Les médecins spécialistes, qui ont fait plus d’études encore, ont les mêmes problèmes. Parfois même, ils en ont plus. Le matériel qu’ils utilisent est de plus en plus sophistiqué et de plus en plus cher. Les risques qu’ils prennent en soignant des malades jusque-là inopérables ou considérés comme dangereux, sont incommensurable. Et c’est pourtant en prenant ces risques qu’ils guérissent de plus en plus.
En ville, mais aussi à l’hôpital, la vie des médecins est devenue difficile. L’hôpital n’attire plus personne. Un tiers des médecins hospitaliers provient de l’étranger.
Ces médecins, qui, pour certains, ne parlent pas français, ont des diplômes qui, parfois, n’ont pas la même valeur que les nôtres. Les hôpitaux sont souvent vétustes, manquent de personnel, manquent de matériel.
Quant aux cliniques, elles sont également dans des situations difficiles.
La France ne veut plus avoir une médecine de haut niveau et ceci pour plusieurs raisons :
- D’abord, elle est trop généreuse et nous faisons venir ici toute une immigration qui vient « bénéficier » de la solidarité nationale. Il s’agit de l’aide médicale d’Etat octroyée à tout étranger en situation irrégulière, mais aussi d’autres avantages donnés à des étrangers en situation régulière qui ne viennent uniquement que pour se soigner.
- Les Français considèrent, quant à eux, que tout doit être gratuit. Même s’ils payent des sommes extrêmement faibles à l’hôpital ou chez les médecins, ils trouvent déjà que ces sommes sont trop élevées. La carte Vitale les encourage à se servir de médicaments comme on se servirait de bonbons dans un supermarché et c’est pour ça que la France consomme deux fois plus de médicaments que les pays européens de même niveau.
- Les hôpitaux sont trop nombreux… Quasiment un tous les 15 kilomètres alors qu’il faudrait les regrouper et les rendre plus accessibles. En les regroupant, les plateaux techniques seraient surement de meilleure qualité. Un bon plateau technique vaut mieux que cinq mauvais.
- Les médecins français sont les moins bien rémunérés de toute l’Europe et surtout les mutuelles ont pris une place exagérée, inacceptable. La Sécurité sociale n’ayant pas revalorisé les actes chirurgicaux depuis 30 ans, elle a encouragé les dépassements d’honoraires pour ne pas dépenser plus et elle a laissé les mutuelles agir, celles-ci devenant de plus en plus autoritaires.
Dans peu de temps, du fait de la désertification d’un certain nombre de territoires, de la pression des mutuelles, la médecine libérale va disparaître en France sans pour autant que l’hôpital ne soit privilégié. Nous sommes en train de détruire notre médecine, il faudrait que les Français s’en rendent compte.
Il faudrait vraiment que les Français puissent de nouveau aimer leur corps médical, le comprendre, le pousser, l’appuyer, que les efforts soient partagés, ce qui permettrait de sauver notre médecine.
Les médecins, jeunes et vieux, sont dans la rue aujourd’hui. C’est un très mauvais signal pour l’avenir de la médecine française.
Pr Bernard Debré