
« Le #Ronfleur du #Lac : #Confessions d’un #Apnéique en #Campagne (et autres Nuits d’Opéra à la Tronçonneuse) »
Il y a quelque chose de profondément romantique à l’idée du camping : s’éloigner du vacarme numérique, se reconnecter à la Terre, s’offrir une nuit sous les étoiles… et déclencher simultanément une alarme biologique à ondes longues appelée « mes ronflements ». J’étais persuadé que la forêt me purifierait. La forêt, elle, a riposté en m’offrant le rôle principal d’un opéra gore intitulé « Quand l’homme imite la tronçonneuse ». Apnée du sommeil ? Non, je préfère « performance pyrotechnique respiratoire ». Caprice de la nature, point d’orgue de mon ego sonore.
Avant le départ, j’ai fait ce que fait toute personne responsable : j’ai investi. Oreiller en mousse à mémoire, bandelettes nasales dernier cri, spray nasal acheté dans un rayon qui ressemble plus à de la pharmacie clandestine qu’à un lieu civilisé. J’aurais peut-être mieux fait d’étudier les hiboux — ces aristocrates du silence — mais non, j’ai choisi le confort high-tech. Résultat : un oreiller qui mémorise ma détresse. On dirait que la mousse a pris des notes et les ressort en boucle chaque nuit.
La première nuit, j’ai eu le sens du spectacle : le ciel s’étendait en velours constellé, les grenouilles croassaient comme une chorale mal réglée, et ma respiration, elle, entreprit un solo d’instruments à percussion. Pour être juste, ce n’était pas qu’un simple ronflement. Non. C’était une relecture très personnelle de l’Acte I de Carmen, interprété à la tronçonneuse, avec un interlude « j’étouffe mais je continue ». Les campeurs alentour, généreux et solidaires comme dans tout film d’horreur à petit budget, ont commencé à échanger des regards qui disent : « Faut qu’on appelle quelqu’un » — ou au moins qu’on invente un alibi.
Conseil de survie n°1 : glissez des bouchons d’oreilles sous l’oreiller de vos compagnons. Si un garde forestier vient enquêter, dites simplement que vous pratiquez un rituel ancestral de protection sonore. Cela fonctionne à 60 % du temps. Les 40 % restants consistent en une réunion improvisée des villageois qui se demandent si vous êtes un nouveau type de feu follet.
Le lendemain matin, le rituel de rédemption est un café brûlant et ces regards silencieux qui font penser que vous auriez dû préciser dans votre annonce « bruyant la nuit, charmant la journée ». Les autres campeurs murmurent entre eux ; on dirait qu’ils préparent une procédure collective. Je les imagine déjà autoconstituant un conseil de vengeance poétique : déposer des pétales de fleurs, construire un totem, écrire mon nom sur une liste noire autour d’un feu. J’essaie d’offrir des cookies au chocolat en guise d’excuse universelle — stratégie émotionnelle éprouvée — mais évidemment, il y a toujours au moins un intolérant au lactose pour entamer une diatribe morale.
La vérité, c’est que tous ces gadgets censés sauver ma nuit sont aussi efficaces qu’un extincteur en papier mâché. Les bandes nasales font croire à mon nez qu’il est un athlète olympique, l’appareil CPAP (si vous avez un modèle portable, bravo — vous êtes un héros moderne) transforme ma tente en salle d’attente d’hôpital, et les sprays ? Ils sentent comme une combinaison chimique entre la pharmacie et l’espoir mal placé. Il faudrait inventer un gadget vraiment utile : un générateur de silence portable qui neutralise les vibrations honteuses produites par mes poumons.
En revanche, la vraie innovation, celle dont j’aurais dû me doter, c’est une narration maîtrisée. Si l’on ne peut pas empêcher le désastre, autant en faire un récit mémorable. J’ai donc opté pour la stratégie de l’auto-dénigrement : je m’en suis servi comme matériel comique. Devant le feu, j’ai raconté ma performance nocturne en exagérant chaque nuance — la respiration de boxeur, l’interruption dramatique, le dernier souffle digne d’une tragédie grecque. Rire est une arme. Rire de soi, une diplomatie. Les rires ont coupé la tension comme un couteau. Les regards de meurtre se sont transformés en tapes amicales sur l’épaule. Héroïque.
Mais l’autodérision a ses limites. Après trois nuits de ce festival respiratoire, je suis devenu célèbre — ou tristement légendaire — dans le cercle restreint des campeurs. On m’a attribué un surnom, comme on attribue une épithète à un pirate : « Le Ronfleur du Lac ». Les enfants me regardent avec un mélange d’admiration et de peur, et les chiens aboient quand j’approche, comme pour prévenir leurs maîtres. Je vis désormais dans des photographies volées prises de l’autre côté des tentes : moi, mal aligné avec la nature, posant comme l’anti-écologiste universel.
Il y a, pourtant, une leçon pratique au milieu de cette comédie. Si vous souffrez d’apnée du sommeil, le camping n’est pas le terrain d’expérimentation idéal. Préparez-vous. Parlez-en avec votre médecin. Testez votre équipement à la maison avant de l’amener sous une tente où l’humanité entière et plusieurs espèces de chouettes vous tiendront pour responsable. Et si vous refusez la sagesse médicale — comme moi — ayez au moins la politesse d’offrir des cookies, mais pas de ceux contenant du lactose si vous voulez garder la paix régionale.
Pour ceux qui cherchent la vengeance douce et la satire utile, voici un kit de survie en 5 points :
- Annoncez votre handicap nocturne dans votre profil de campeur : la transparence évite les procès pour nuisance.
- Apportez un CPAP si c’est prescrit. Si vous n’en avez pas, testez tous vos gadgets à la maison.
- Cookies au chocolat (version sans lactose en option) — monnaie d’échange immédiate.
- Optez pour l’auto-dérision : transformez votre ronflement en légende, pas en drame collectif.
- En dernier recours, acceptez le titre honorifique de « légende locale » et demandez un autographe ; ça change la dynamique.
Je pourrais finir ce récit sur une note moralisatrice — « prenez soin de votre santé » — mais non. La morale ici est mieux servie avec une pointe d’ironie. Le camping m’a appris que l’harmonie avec la nature n’est pas une question d’emplacement géographique, mais de capacité à rire quand la nature rend hommage à vos défauts. J’ai quitté la forêt avec la conscience un peu moins légère, des cookies en moins dans la boîte, et un nouveau surnom clignotant dans ma tête.
Alors si vous me croisez au bord d’un lac, ne soyez pas trop prompt à me juger. Saluez plutôt « Le Ronfleur du Lac » d’un geste complice, glissez-lui un bouchon d’oreille, ou mieux, proposez-lui un cookie sans lactose. Et si vous entendez au loin une tronçonneuse nocturne qui sonne étrangement humaine, prenez le temps d’applaudir : vous venez d’assister à l’union sacrée du camping, de l’apnée et de la comédie.