11 #Millions de #Français seront dans un #Désert #Médical en #2021
Maxime Lebigot est infirmier et fondateur de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM). Son analyse et son expérience de la situation permettent de mieux comprendre l’urgence de réformer l’accès aux soins.
Pouvez-vous présenter votre métier et votre engagement citoyen ?
J’ai 32 ans et je suis infirmier au centre hospitalier de Laval. J’ai fondé l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) en 2016. Je cherchais à l’époque à faire les vaccinations pour mon garçon de 5 mois mais il n’y avait pas de médecin traitant disponible. J’ai appelé l’agglomération, mais aucun médecin ne prenait de nouveaux patients. L’Agence régionale de santé m’a dirigé vers les urgences pédiatriques, mais je n’allais pas les déranger pour une vaccination.
J’ai posté un message sur Twitter afin d’interpeler les élus. Un journal a repris le sujet et j’ai été contacté par de nombreuses personnes : on a décidé de se rassembler en association. Nous comptons désormais 532 adhérents et tous les métiers sont représentés : employé de La Poste, soignants, peintre en bâtiment…
La parole publique de cette association compte à présent…
Nous sommes régulièrement auditionnés à l’Assemblée Nationale pour des propositions de loi qui visent à réguler l’installation des médecins. C’est une nécessité même si les médecins ne sont pas forcément pour. Il faut un cadre pour les médecins comme il en existe déjà pour les pharmaciens, les infirmiers libéraux… Début 2021, nous prévoyons une action en justice contre l’Etat avec Corinne Lepage. Notre association espère que les communes nous rejoignent. Suze-sur-Sarthe a par exemple adhéré à l’ACCDM.
Agnès Buzyn, au début de l’année, avançait le chiffre de 8 millions de Français vivant dans un désert médical. Où en est-on ?
Aujourd’hui, il est sûr qu’on a dépassé les 9 millions. Les projections pour 2021 sont de 11 millions de personnes sans médecin référent. J’ai bien dit « référent » et non généraliste, cela veut dire que l’on ne compte pas les patients en-dessous de 16 ans. Le chiffre est encore plus élevé.
Quelle est la situation dans votre département, en Mayenne ?
La situation ne s’est pas arrangée, au contraire. Alors, on nous avait vendu une solution temporaire, qui est temporaire depuis longtemps maintenant : le Service médical de proximité qui a ouvert à Laval. Ce sont des médecins récemment retraités et des internes en fin d’études qui prêtent main-forte une à deux fois par mois.
Comment le CH de Laval a-t-il vécu et vit-il encore la crise sanitaire ?
Nous avons tout déprogrammé pour avoir des infirmiers de bloc en réa. Etonnamment les gens étaient moins malades, on a eu moins de « bobologie ». Tout a été traité de façon optimale, mais combien de patients ne sont pas venus et l’auraient mérité ? Il y a de vrais cas d’urgence qui ont été déprogrammés.
Un médecin généraliste sur deux a plus de 60 ans, en France. Que pourrait-on imaginer, en plus de la hausse du numerus clausus, pour faire avancer la situation ?
Il n’y a jamais eu autant de médecins en France qu’aujourd’hui, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont bien répartis. On remarque que la densité de médecins est meilleure dans les villes qui comptent une faculté de médecine.
Premièrement, il y a près de 25% de médecins qui n’exercent pas. Pour des raisons familiales, entrer dans un laboratoire ou autre, ils ont décidé de ne pas pratiquer la médecine. Et il y a ensuite ce numerus clausus qui est une idiotie et qu’il faut commencer par relever.
Le numerus clausus est un chiffre fixé par le gouvernement qui détermine le nombre de places attribuées en études de médecine chaque année. En 2019-2020, il est de 9 300 médecins environ.
Comment convaincre les jeunes médecins d’exercer dans les déserts médicaux ?
Notre association réclame que les médecins qui sortent de l’université, comme c’est le cas pour les professeurs et les policiers, aient à choisir une zone sous-dotée pour trois à cinq ans. Après ce temps, ils exerceraient où bon leur semble.
Les nouveaux outils comme la télémédecine peuvent-ils servir ?
C’est de la poudre aux yeux, ça ne remplacera jamais le contact humain. Alors c’est un outil, une aide qui peut venir en complément. Si on a un grain de beauté et qu’on envoie la photo au dermatologue pour recevoir un avis rapide, c’est très bien par exemple. Mais il faut que cet outil serve au soignant et ne le remplace pas.
Il y a un autre sujet, ce sont les maisons de santé. Les jeunes médecins ne veulent plus être isolés, ce qui se comprend bien. Mais il ne faut pas créer la maison de santé d’abord, et chercher à recruter ensuite, et constater qu’il n’y a personne ; c’est une équipe de médecins réunis qui doit avoir le projet de monter la maison de santé. Il ne faut pas faire les choses à l’envers.
Comment expliquer qu’un pays comme la France soit touché par ces problèmes ?
Cela fait trente ans que l’Etat et les médecins refusent de se mettre autour de la table pour discuter et réguler la profession. Il faut dire que les médecins sont nombreux parmi les élus et même au gouvernement. Une autre cause est le changement des mentalités. Avant les médecins travaillaient de 7h à 21h même le week-end. C’est entendable qu’ils ne veulent pas ces horaires et conserver une vie de famille, mais il ne faut pas oublier que c’est un métier de service.
La désertification médicale touche-t-elle certaines spécialités plus que d’autres ?
C’est global. Quand on sait que la France ne produit que 84 anesthésistes par an, c’est un véritable scandale. Mais le premier maillon de la chaîne, c’est le médecin généraliste. Pour voir un spécialiste, il faut premièrement être guidé par un généraliste, donc mathématiquement le problème les concerne au premier plan.
Un autre indicateur ne rassure pas : les délais de prise de rendez-vous.
C’est logique car les médecins sont moins nombreux et la population est plus âgée, donc les temps augmentent. Il faut que les patients prennent l’habitude de réserver leur rendez-vous à l’avance pour le renouvellement des médicaments. L’allongement des délais provoque aussi des retards de diagnostics.
Pensez-vous qu’il y a en France un problème plus global avec la santé ?
Notre système de santé est à la ramasse. Si l’on n’avait pas supprimé autant de lits dans les hôpitaux et supprimé des dizaines de milliers de postes, on aurait sans doute mieux géré la crise. On n’a plus le temps de prendre vraiment soin de nos patients. Je suis infirmier mais désormais je m’implique beaucoup dans le syndicalisme pour changer les choses.