#MutualiteFrançaise : le médecin doit assumer sa mutation digitale
Que devient, et que va devenir, le rôle du médecin alors que la santé connectée se développe à grande vitesse ? Le témoignage d’Éric COUHET, médecin généraliste à Nueil-les-Aubiers (Deux Sèvres) et fondateur du mouvement 3.0 des Connected Doctors.
La médecine de demain sera connectée ou ne sera pas.
La plupart des médecins le savent s’ouvrent à la santé connectée.
Mais ils demeurent frileux.
D’une part , parce qu’ils craignent que ces technologies soient chronophages, complexifient la facturation ou encore difficiles à intégrer à leur pratique médicale. Des questions légitimes dont il faut vite trouver les réponses car 2016 s’annonce comme une année charnière.
Une ®évolution inéluctable
Nous, médecins, arrivons en aval d’un processus dont nous ne sommes pas forcément la clé de voûte. Ce sont les patients qui nous bousculent. Le patient se rend trois fois plus souvent chez son pharmacien que chez son médecin. C’est à ce niveau que tout change, le pharmacien est en train de devenir l’objet de tous les désirs des industriels de la santé connectée. Et si les dispositifs médicaux connectés (DM) sont dispensés par les pharmaciens, les médecins vont voir de plus en plus de leurs patients arriver « déjà connectés » et dans l’obligation de digitaliser leur pratique médicale.
Il est devenu urgent de les sensibiliser sur la valeur ajoutée des solutions de santé connectée et sur les résultats très encourageants des projets pilotes qui ont été menés. Il faut leur expliquer le fonctionnement des DM, leur montrer comment les intégrer dans le parcours de soin et les former à leur utilisation. Il faut également dissiper leurs craintes sur la récupération des données médicales par les géants de l’informatique. J’utilise personnellement des DM depuis près de deux ans en consultation et une centaine de mes patients sont munis de DM connectés : tensiomètre, glucomètre, pèse-personne…
Cette étape est indispensable pour que la fracture digitale qui émerge entre les patients – impatients, hyper-connectés et en attente d’un encadrement médical pour se sentir en sécurité – et les médecins ne continue pas à se creuser.
Réinventer le rôle du médecin
Face à des patients 2.0 qui consultent des forums, les réseaux sociaux ou des sites web pour comprendre par eux-mêmes les pathologies dont ils souffrent, le rôle du médecin se transforme. Longtemps, celui-ci avait le savoir et la prise de décision. Maintenant, il va devoir contredire le patient 2.0, qui va se présenter comme spécialiste de sa propre santé. Le médecin ne peut plus être cloisonné dans son cabinet médical avec son savoir mais être connecté sur le monde extérieur – sur le web, les réseaux sociaux, avec ses collègues… – et échanger avec son patient pour faire reconnaître son avis éclairé et garder sa confiance.
L’évolution de notre métier est extraordinaire. Nous allons, de plus en plus, jouer un rôle de récupération et d’analyse de données issues des dispositifs médicaux connectés. Je suis persuadé que le médecin de demain passera 70% de son temps à faire des actes physiques et les 30% restants en consultations de télé-santé. Mais pour que les médecins adhèrent à ce changement, il faut que l’on mette en place un nouveau modèle économique, un mode de rémunération des actes de santé connectée, comme cela existe au Canada par exemple.
Les médecins craignent par ailleurs que les machines prennent le pas sur l’humain. Cette crainte est infondée.
Au contraire, la santé connectée, en libérant le médecin de certaines tâches quotidiennes (le renouvellement d’ordonnances, les doubles saisies informatiques…) va lui permettre de gagner du temps médical, d’approfondir sa relation avec le patient.
Meilleur suivi des pathologies chroniques
Imaginez un grand-père qui vit en campagne, dans un désert médical. Il souffre d’insuffisance cardiaque et attend de rentrer en institution. Il a perdu sa femme six mois auparavant et se retrouve isolé. Je décide de l’équiper d’un pèse-personne connecté sur lequel je définis des alertes précoces, précises et ultra-personnalisées.
Voyant une telle alerte s’afficher, l’aide ménagère m’appelle : le patient a pris 4 kg en 4 jours. Grâce aux données recueillies par le DM, j’ai pu ajuster le traitement diurétique du patient en direct. Les bénéfices sont grands, aussi bien pour lui qui n’a pas eu à se rendre à l’hôpital que pour la société qui n’a pas eu à supporter les coûts élevés d’une hospitalisation.
La santé connectée, c’est une médecine curative précoce, précise et personnalisée. Grâce aux données que l’on a sur le patient et à la relation que l’on noue avec lui, nous sommes en mesure de mieux le soigner, d’observer en direct et à distance l’effet des médicaments que l’on prescrit et l’aider sur l’observance de son traitement. La santé connectée permet d’évoluer progressivement d’une médecine curative, aux coûts très élevés, vers une médecine de plus en plus préventive et prédictive, qui n’existe quasiment pas en France alors qu’elle est très répandue dans les pays anglo-saxons.
Cet accent mis sur la personnalisation et la prévention est particulièrement utile pour le suivi des pathologies chroniques telles que l’hypertension, le diabète et la surcharge pondérale. Car le patient est l’acteur principal de la santé publique : s’il est entouré par des médecins informés et formés, des professionnels de santé qui lui donnent un cadre et définissent avec lui des degrés d’alerte (vert, jaune, rouge), il sera capable de s’auto-gérer efficacement.
Et il est beaucoup plus facile de faire admettre un traitement médical à un patient qui se sent en contrôle de sa santé et qui se sait accompagné par un système de soin très réactif. Un véritable contrat médico-social connecté s’établit alors avec le patient, qui dispose d’alertes et d’objectifs à atteindre hyper-personnalisés en fonction de ses facteurs de risques.
Ces différentes alertes pourront à terme être disponibles à tous les niveaux du parcours de soin : en ville, en clinique, à l’hôpital, à domicile. Une réinitialisation totale du parcours de soin est en cours. Le rôle de tous les acteurs du soin – pharmaciens, infirmiers, médecins, aidants médicaux ou non – est en train d’être redéfini.
Nous sommes véritablement à la croisée des chemins.
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