#MédecineRégénérative : un pas décisif vers l’immortalité ?
Au début des années 2000 souffle sur le secteur de la santé un vent d’espoir démesuré.
Son nom: la médecine régénérative. «A l’époque, il s’agissait d’une approche nouvelle qui devait permettre de soigner à peu près toutes les maladies dégénératives, sourit Pedro Herrera, professeur au département de médecine génétique et développement de l’Université de Genève.
Aujourd’hui nous croyons toujours en l’immense potentiel de cette méthode, même si les thérapies tardent un peu à venir.»
Le concept se veut assez simple. Si un organe est défectueux, comme le cœur après un infarctus, il suffit de le réparer grâce à des cellules souches.
Ces dernières étant capables de se différencier en n’importe quel type cellulaire, elles peuvent être cultivées en laboratoire puis utilisées pour reconstruire un tissu défaillant.
En 2001, une étude publiée dans la revueNature suggère ainsi qu’injecter des cellules souches de la moelle osseuse directement dans le cœur d’une souris malade restaure la fonction cardiaque.
Résultats décevants
Après plusieurs tests encourageants sur des animaux – rats et moutons – des essais cliniques sont entrepris.
En juin 2000, dix personnes souffrant d’insuffisance cardiaque sont recrutées. Les chercheurs prélèvent des cellules souches sur les patients, les multiplient in vitro, puis les injectent dans leur cœur. Quelques mois plus tard, aucun effet secondaire n’étant à déplorer, la presse s’emballe, parle «d’immortalité», de «corps bientôt reconstituable» et un essai international portant sur 97 malades est initié en 2002.
Les résultats, publiés dans la revue Circulation en 2008, se révèlent néanmoins décevants: la greffe ne restaure pas – ou de façon marginale – la fonction cardiaque. Pire: non seulement les cellules souches ne se transforment pas en cardiomyocytes, mais les chercheurs craignent même qu’au lieu de soigner elles génèrent des tumeurs.
Changement de paradigme
«La médecine régénérative a suscité beaucoup d’espoirs qui ont été un peu déçus, reconnaît Thierry Pedrazzini, professeur associé à l’unité de cardiologie expérimentale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Mais il s’agit d’un échec relatif: la science progresse toujours lentement et ces recherches nous ont permis d’avancer.» Et de changer de paradigme.
«Le règne animal présente des exemples extraordinaires de régénération, à l’image de la salamandre dont une patte amputée repousse», raconte Pedro Herrera. Comment le processus se déroule-t-il et qu’en est-il chez l’homme? «Naturellement, nos tissus sont capables d’une certaine régénération, poursuit Pedro Herrera, comme la peau qui se répare ou des cellules sanguines qui se renouvellent.» Ce processus est permis soit par une prolifération du tissu après lésion, comme dans le foie, soit par la présence de cellules souches «adultes».
Contrairement à ce que les chercheurs ont longtemps pensé, de telles réserves existent probablement dans la plupart des organes: muscle, intestin, poumon, rein… Et même dans le cerveau! En 1998, une étude publiée dans la revue Nature Medicine a ainsi montré que nos méninges se renouvellent naturellement. Chaque année, près de 2% des neurones de l’hippocampe humain – une région cérébrale – sont ainsi remplacés.
Les mystères du poisson zèbre
Mais ce processus n’est pas suffisant pour faire de nous des salamandres: «Si certains organes se régénèrent très bien, comme la moelle osseuse qui produit les cellules sanguines, d’autres ne sont pas capables de se reformer après une lésion importante, note Thierry Pedrazzini. Le muscle cardiaque, par exemple, ne peut pas se remettre seul d’un infarctus. L’enjeu est de comprendre comment stimuler la formation de cellules musculaires cardiaques afin d’engendrer une réparation.»
Pour y parvenir, une équipe du CHUV s’est intéressée au poisson zèbre, un autre animal qui possède une faculté incroyable: une étude publiée en 2002 dans la revue Science a en effet montré que le cœur de ce vertébré, après amputation de 20% de sa masse totale, se reconstitue en à peine deux mois. «En analysant les cellules du poisson zèbre, nous avons découvert des ARN non codants, c’est-à-dire ne produisant pas de protéines, qui contrôlent la prolifération des cardiomyocytes, raconte Thierry Pedrazzini. Grâce à ces ARN, nous avons pu stimuler la régénération d’un cœur de souris après un infarctus.»
In vitro, les chercheurs sont parvenus grâce à ces ARN à provoquer la différenciation en cardiomyocytes de cellules souches humaines de patients souffrant d’insuffisance cardiaque. «La route vers une utilisation en clinique est encore longue, mais ces travaux suscitent un véritable espoir, note Thierry Pedrazzini. D’autant que si ce mécanisme est à l’œuvre dans le cœur, il pourrait s’appliquer à d’autres organes.»
A Genève, Pedro Herrera s’intéresse au pancréas et en particulier aux îlots de Langerhans – ces petits amas cellulaires qui produisent l’insuline. «Chez les patients atteints de diabète de type I, il y a une perte des cellules à insuline ce qui conduit à la pathologie, explique le chercheur. Restaurer la production de cette hormone chez ces malades représente donc un challenge médical majeur.»
Dans cette quête, les chercheurs ont réalisé une observation étonnante: après destruction de plus de 99% des cellules productrices d’insuline, le pancréas de la souris est en mesure de se régénérer jusqu’à 10%. Comment? «D’autres cellules du pancréas font l’objet d’une reprogrammation ou d’un retour en arrière. Elles peuvent alors se transformer en nouvelles cellules à insuline, explique Pedro Herrera. Cette capacité était complètement inattendue. Elle ouvre une nouvelle voie pour développer une thérapie contre le diabète chez les humains.»
Doper le système
A l’image du cœur ou du pancréas, les scientifiques cherchent désormais à identifier les mécanismes biomoléculaires qui permettent aux organes de se renouveler naturellement avec un objectif: doper le système pour parvenir à une régénération type salamandre ou poisson zèbre.