
#La #Guerre des #Rose : Ils ont #Divorcé à #Coups de #Souffle
Ils ont divorcé à coups de souffle — et Claire a choisi d’être la pire des épouses : celle qui gagne en rendant la victoire insupportable.
Paul avait toujours eu la respiration enthousiaste d’un vieux moteur. Pas le ronron doux du chat, non : le klaxon industrieux, la scierie nocturne, le bruit d’un placard qu’on referme avec haine. Les premiers soirs, Claire se moquait gentiment. Puis elle a tenté la diplomatie — oreillers en boudin, bouchons d’oreilles, remarques sourdes aux dîners — et a découvert qu’on ne négocie pas avec une gorge qui fait grève. On la combat.
Elle prit la CPAP comme une arme. Non pas pour sauver Paul — quelle comédie — mais pour restaurer l’ordre public domestique : ses nerfs, son sommeil, sa capacité à lire un roman sans hurler intérieurement. Les premières nuits furent triomphales. Paul ronronna moins, Claire retrouva la décence d’un sommeil sans représailles auditives. Elle exulta, mais pas par amour : par un plaisir froid, chirurgical. Enfin, l’homme devenait gérable. Enfin, la paix pouvait être empaquetée et étiquetée « réussite ».
Mais un problème demeurait : la paix est soporifique. Elle tue le ressentiment qui fait la substance de tant de stratagèmes conjugaux. Claire, férue de petites cruautés raffinées, ne supportait pas l’apathie de la victoire. Il fallait pimenter le triomphe. Elle creusa. Elle lut. Elle apprit que la chaleur et l’inconfort font capoter la CPAP. Elle devint ingénieure du désagrément.
Les nuits suivantes, elle orchestra des canicules domestiques à la précision d’un tortionnaire esthétique : un radiateur laissé en veille, les volets clos pour transformer la chambre en serre, draps humides disposés comme des pièges. Paul retirait son masque, suffoquait, reprenait l’air à pleine bouche comme un condamné. Le ronflement reprenait, épique. Claire notait, dans un carnet, l’heure exacte de chaque défaite de la machine. Elle tenait un score.
Paul, qui aimait la science quand elle le servait, riposta en rachetant des masques plus chers, en affichant des courbes d’adhérence sur son téléphone comme on montre des trophées. « Regarde ! » disait-il, triomphant et à demi-narcissique. Mais aucune statistique ne peut réparer la blessure narcissique d’une femme qui a appris à célébrer sa rancœur. Claire regardait ses graphiques comme on lit une liste de courses : nécessaire, sec, dépourvu d’odeur.
La guerre prit des nuances administratives. Ils devinrent deux petites bureaucraties : plaintes pour nuisance déposées en ligne, échanges glacés sur la température du thermostat, menaces à peine voilées autour de la table. Le lit, ce théâtre, fut redessiné nuit après nuit. Un soir, elle glissa sous son oreiller une note cinglante : « Choisis : la paix ou ta place à côté d’un silence que tu as ruiné. » On sentait dans la phrase toute l’élégance d’une femme qui sait rendre l’amour conditionnel.
Mais la machine eut un effet pervers : Paul, soigné, devint meilleur. Moins somnolent, il retrouva un surplus d’ennui qui le rendit disponible — pour la conversation, pour l’humour, pour la tendresse, pour des silences non hostiles. Claire, pour la première fois depuis longtemps, sentit monter une jalousie fine et corrosive : que faire d’un adversaire libre et présent ? Le plaisir n’était plus dans la victoire mais dans le combat. Elle avait appris à désirer la guerre comme on désire un dessert amer.
Elle choisit alors la stratégie la plus raffinée : l’humiliation lente. Elle devint la ministre du dégoût domestique. Repas tièdes, conversations où elle l’avertissait doucement de ses insuffisances morales, commentaires glissés sur la literie — de petites piques qui mordent plus qu’une gifle. Paul se retrouvait retiré, à la fois revivifié par la CPAP et diminué par l’attention cinglante de la femme qui l’avait « sauvé ». Il avait gagné la respiration et perdu le droit de dormir sans jugement.
Le point d’orgue arriva une nuit où Claire, dans un acte de pure méchanceté civique, fit tomber une serviette humide sur le visage du masque connecté. La machine se coupa, Paul se débattit, le ronflement monta comme un hymne. Au petit matin, Claire écrivit sur son carnet : « Victoire esthétique. » Paul trouva la phrase collante sur la table de nuit et la sentit comme une morsure.
Cette histoire n’a ni tragédie ni morale propre. Paul continua de mettre son masque, parfois, pour ses propres raisons — le confort retrouvé, la clarté d’esprit du matin. Claire continua d’aimer la guerre, mais en amateur sophistiquée : elle préférait la mener par petits raffinements, par humiliations subtiles. Ils restèrent ensemble parce que la guerre domestique était devenue leur façon la plus honnête de se parler.
La causticité de leur vie nocturne prit la forme d’un arrangement tacite : Paul respirait mieux, Claire respirait jalousie. Chacun y trouvait son compte : il, quelques années de plus à vivre sans essoufflement ; elle, la jouissance de l’inventaire des petites cruautés qui définissent un mariage réussi à la manière d’un duel. La paix ? Non, la paix n’est pas assez piquante. Ils préféraient le goût âpre d’un foyer en feu, servi à la tasse.
Moral ? Nul besoin. Les couples ne veulent pas de morale ; ils veulent des stratagèmes. Et si l’apnée pouvait rendre une femme inventive et un homme prévisible, alors la maladie avait accompli sa plus belle œuvre : rendre la vie de deux personnes ironiquement plus intéressante, à force de bile et de souffle.
