
Plongée lucide dans la nuit mentale : une lecture de « Intérieur nuit » de Nicolas Demorand
Avec Intérieur nuit (Les arènes, 2025), Nicolas Demorand, figure bien connue du paysage médiatique français, quitte le registre de l’information pour livrer un texte brut, dense et frontal sur l’effondrement psychique. Ce récit autobiographique, qui s’ouvre sur une hospitalisation en service psychiatrique, nous entraîne dans une traversée sans fard de la maladie mentale, vécue de l’intérieur. Ce n’est pas une confession, encore moins une quête de rédemption, mais une mise à nu lucide et courageuse.
Demorand décrit sans détour la dépression sévère, les états dissociatifs, l’épuisement nerveux. Il parle d’angoisse, de perte de sens, de vacillement identitaire — autant de réalités cliniques rarement formulées avec une telle précision et une telle intensité littéraire. Mais au-delà du témoignage personnel, Intérieur nuit interroge les causes systémiques de la souffrance mentale. L’auteur montre comment le culte de la performance, la surcharge cognitive, la tyrannie de l’image et le silence autour de la fragilité masculine ont contribué à sa chute.
Ce qui frappe, c’est la manière dont le récit déconstruit les récits habituels de résilience. Pas de glorification du « retour à soi », pas de morale édifiante. Demorand refuse la réhabilitation spectaculaire que la société attend des “guéris”. Il assume les zones grises, les ambiguïtés, la chronicité du trouble. Son écriture syncopée épouse les méandres de la crise, traduisant l’éclatement de l’expérience intérieure.
Sur le plan clinique, Intérieur nuit offre une description fine du vécu du patient psychiatrique : l’effacement du sujet dans les protocoles, le rapport au médicament, la violence douce des dispositifs de soin. Il évoque aussi, en filigrane, l’importance d’un entourage capable d’entendre sans juger, et la difficulté d’exister en dehors des rôles sociaux.
Mais le livre prend également une portée politique. Il fait émerger une critique implicite de notre modèle de santé mentale : une médecine parfois rapide, normative, peu adaptée à la subjectivité. Demorand ne règle pas de comptes ; il éclaire un angle mort. En exposant ses failles, il révèle les nôtres : cette peur collective de la folie, cette injonction à aller bien, ce refus d’accueillir la vulnérabilité comme une composante humaine.
En définitive, Intérieur nuit n’est pas un livre sur la maladie mentale — c’est un livre depuis la maladie mentale. Et c’est là toute sa force. Par son honnêteté radicale, sa langue tendue et sa volonté d’en finir avec les faux-semblants, Nicolas Demorand signe un texte rare. Une œuvre à la fois littéraire, politique et profondément humaine, qui contribue à faire tomber les murs du silence autour de la santé mentale.