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Contre les #effetsindésirables, un #algorithme pour personnaliser les #doses de #médicaments

Contre les effets indésirables, un algorithme pour personnaliser les doses de médicaments

Tous les patients de nécessitent pas les mêmes dosages pour un médicament donné.
Shutterstock

Adrien Coulet, Université de Lorraine et Nicolas Jay, Université de Lorraine

Chaque année, aux États-Unis, on estime que 280 000 hospitalisations sont dues aux effets indésirables des médicaments. En France, ces derniers pourraient être responsables de plus de 130 000 cas par an, selon certaines estimations. Et ce problème ne s’arrête pas aux portes de l’hôpital : les patients peuvent aussi être victimes d’effets indésirables durant leur hospitalisation.

Les réponses de notre organisme à un traitement dépendent de nombreux facteurs : notre état général (si nos reins fonctionnent mal, ils élimineront moins bien les médicaments), les traitements que nous suivons déjà (ils peuvent interagir avec les nouveaux traitements), les aliments que nous consommons (le pamplemousse peut par exemple inhiber les enzymes intervenant dans le métabolisme des médicaments), ou notre génome (certains individus ont un déficit partiel – ou parfois total – en une enzyme intervenant dans l’élimination du 5-fluorouracile, un anticancéreux essentiel utilisé pour dans le traitement de nombreux cancers. Des doses normales pour d’autres patients sont alors violemment toxiques pour eux, et peuvent les tuer.

Face à ces effets secondaires parfois graves, nous ne sommes pas tous égaux, et les médecins font de leur mieux pour adapter leurs prescriptions en fonction du poids, de l’âge, de l’état physiologique de leurs patients… Ce n’est pas une mince affaire, étant donné le nombre de paramètres qui entrent en ligne de compte. Qui plus est, historiquement les laboratoires pharmaceutiques se sont surtout attelés à développer des médicaments à large spectre, pour soigner l’ensemble de la population. Ils se sont peu attardés sur les personnes réagissants différemment et nécessitant une autre molécule ou plus simplement un dosage adapté.

La médecine personnalisée pourrait bénéficier à ces patients dont les cas exigent un dosage précis afin que le rapport bénéfice/toxicité soit plus approprié. Le développement des carnets de santé numériques (comme le dossier médical partagé en France), qui conservent notamment les données de traitement des patients, permet désormais de faire un pas supplémentaire dans cette direction.

Grâce à ce type de données, notre équipe a mis au point un algorithme capable de prédire quels patients nécessitent une dose de médicaments plus faible que la dose standard, avant même la prescription.

Les dossiers de santé électroniques, une mine d’information

Nous nous sommes intéressés aux médicaments qui interagissent avec les enzymes de la famille des cytochromes P450. Ces enzymes jouent un rôle important dans l’élimination des médicaments, or leur activité varie beaucoup en fonction de la génétique des patients. Elles sont de ce fait à l’origine de réponses très variables d’un patient à l’autre.

Nos travaux se sont basés sur des données médicales électroniques de l’hôpital de l’université Stanford, en Californie. Celles-ci correspondaient aux informations de plus de 1,2 million de patients qui y sont entrés entre 2008 et 2014. Soit un ensemble de près de 50 000 visites s’étant traduites par plus de 20 millions d’ordonnances, dont près de 3 millions pour des médicaments ciblant les enzymes P450.

À Stanford, les patients ont des dossiers électroniques depuis de nombreuses années. Ces données sont anonymisées, puis entreposées à des fins de recherche (chaque patient donnant son accord en amont). En France aussi, le dossier médical partagé gagne chaque jour du terrain : l’Hôpital européen Georges Pompidou a mis en place dès son ouverture, en 2001, un système informatique afin que les dossiers des patients soient électroniques. Au CHRU de Nancy, les dossiers sont également informatisés, et le développement d’un entrepôt de données dédié à leur réutilisation par les chercheurs est en cours de développement.

L’accès à ces données à des fins de recherche ne se fait toutefois pas n’importe comment : les demandes sont évaluées par des comités d’éthique, les Institutional Review Board aux États-Unis et doivent, en France, respecter le Réglement Général européen sur la Protection des Données (RGPD).

Trier les données médicales grâce à l’intelligence artificielle

À partir de ces informations, nous avons, pour 34 médicaments différents, construit des profils de patients. Ces profils regroupaient les raisons diagnostiques de l’hospitalisation (insuffisance pulmonaire, greffe de moelle osseuse, transplantation, etc.), les problèmes rencontrés et mentionnés dans les notes cliniques associées (pneumonie, toux sèche, symptôme cutané, etc.) ainsi que les demandes d’analyses de laboratoire. Ces informations ont été croisées avec le devenir de la prescription initiale : a-t-elle nécessité une diminution des doses ? Une augmentation des doses ? Est-elle restée constante ? En effet, il est probable qu’un changement de la dose initiale indique la survenue d’un effet indésirable ou un manque d’efficacité.

Un exemple d’arbre de décision : celui utilisé par Wikipédia pour déterminer si une image peut-être incluse sur une page.
Stefan Lew, WolfgangW, JM Tavernier / Wikimedia

Ces données ont été utilisées pour « entraîner » deux algorithmes différents, l’un destiné à prédire les réductions de dose, l’autre les augmentations.

Nous avons pour cela employé une méthode couramment utilisée en intelligence artificielle, la méthode Random Forest, ou forêt d’arbres aléatoires. Très brièvement : cet algorithme effectue un apprentissage en construisant de multiples arbres de décision, chacun entraîné sur un sous-ensemble des données choisi aléatoirement. Chaque arbre de la forêt « vote » ensuite pour la décision finale.

Nous avons ensuite évalué si cette approche pouvait prédire la sensibilité des patients aux médicaments. C’est le cas : elle s’est révélée efficace pour prédire les réductions de doses dans le cas de 23 médicaments sur les 34 étudiés. Elle s’est en revanche avérée inefficace pour les augmentations de doses. Les médecins de l’équipe ont vérifié ces résultats et les ont croisés avec succès avec la littérature scientifique existante. Afin de faciliter l’interprétation des résultats dans l’optique d’obtenir une interprétation clinique des sensibilités des patients à ces médicaments, nous avons développé une interface Web affichant les profils utilisés par l’algorithme pour prédire les changements de dose.

Les données de santé électroniques, une ressource précieuse

Traditionnellement, les médecins prescrivent les doses correctes de médicaments en suivant des protocoles cliniques : ils débutent un traitement avec une dose de départ, précisée par le protocole, puis évaluent chaque jour ou chaque semaine l’effet du médicament chez le patient afin d’ajuster la dose en fonction d’éventuels effets indésirables.

En suggérant l’intérêt une dose plus faible, sur la base du profil du patient, au moment de la première prescription, notre algorithme pourrait constituer une aide précieuse pour les médecins. Il les aiderait à prévoir et à prévenir les effets indésirables, réduisant le temps nécessaire pour définir la dose optimale à administrer.

Cette approche fonctionne déjà particulièrement bien avec des médicaments utilisés en cancérologie, avec des immunodépresseurs utilisés après une greffe par exemple, ou encore avec des anticoagulants pour lesquels le temps pour atteindre la dose optimale peut-être long, tant la variabilité de réactions des patients est grande. Reste désormais à adapter notre approche aux dossiers électroniques d’hôpitaux français.


Nous remercions Olivia Brenner, du Loria, et Isabelle Kling d’Inria pour leurs aides et conseils pour la rédaction de cet article.The Conversation

Adrien Coulet, Maître de conférences, Université de Lorraine et Nicolas Jay, Professeur de Santé Publique, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.