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La “promotion de la santé” : un enjeu d’image et d’avenir pour le médicament et l’industrie pharmaceutique

Quels sont aujourd’hui les leviers de croissance et d’image de l’industrie pharmaceutique? Quelle place pour l’innovation thérapeutique, le médicament  et le digital dans le système de santé de demain ?

Répondre aux défis structurels du système de santé : tel est l’objectif stratégique du projet de loi de santé. Si les modalités concrètes de mise en œuvre de ces orientations restent à préciser lors des débats à venir, certaines thématiques — comme le pari de l’innovation, l’accent mis sur la prévention, le rendez-vous avec l’open data, l’introduction de la class action — sont autant de pistes de réflexion qui invitent les acteurs de santé à faire évoluer leurs stratégies.

Signe de la montée en puissance du sujet santé dans la société, le quatrième baromètre Domplus-BVA établit que la santé devient la préoccupation numéro un des Français. Cette étude fait état d’ « une importante demande des Français en termes d’accompagnement et de services pour gérer leur vie quotidienne, ainsi que d’une évolution du type des besoins »[1]. Référent transversal du champ social, économique et politique, la santé a un impact immense. Moteur de l’économie nationale, ce secteur représente en France près de 12% du PIB et demeure un gisement de croissance.

A un moment charnière dans le rapport de l’opinion publique aux médicaments, il convient de s’interroger sur le rôle que pourrait tenir l’industrie pharmaceutique dans la promotion de la santé, nouvel enjeu d’image et d’avenir pour le médicament. 85% des Français estiment que les entreprises du médicament jouent un rôle important, voire primordial, dans la découverte de nouveaux traitements. Plus de deux Français sur trois pensent que les laboratoires réussiront à mettre au point, dans les années à venir, de nouveaux traitements efficaces [3].

Parallèlement, ils questionnent le secteur sur sa logique économique : 80% des Français estiment que ces entreprises sont plus soucieuses de leurs bénéfices que des malades et 76% qu’elles ne font de la recherche que pour des médicaments rentables.[4] 80% des Français considèrent que les entreprises du médicament “communiquent mal” sur leur activité et leur rôle dans la société[5]. On peut y voir une réelle opportunité d’amorcer un changement culturel et de répondre à une attente citoyenne forte à l’égard du secteur ; une attente qui renforce la nécessité de poursuivre la démarche de dialogue entreprise depuis plusieurs années auprès des parties-prenantes de la société.

Le médicament : un rôle économique majeur

L’industrie pharmaceutique occupe en France une place de premier plan dans l’économie nationale : 52 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 25,3 milliards d’euros d’exportations. Les exportations de médicaments représentent 6,6% des exportations totales de la France[6]. Ce sont 98.800 personnes employées en France en 2012. L’industrie pharmaceutique est également un important pourvoyeur d’emplois indirects : 100.000 emplois en 2012. Enfin c’est le premier secteur économique en termes d’investissement dans la recherche et l’innovation.

Actuellement l’industrie du médicament est à la croisée des chemins. Le secteur est en décroissance de 3% depuis trois années consécutives. « À l’horizon 2015, la tombée dans le domaine public des brevets de produits innovants et internationalisés commercialisés dans les années 1980 et 1990, la croissance du marché des génériques ainsi que la mise à disposition des patients de produits ciblés issus des biotechnologies induisent une transformation radicale du modèle économique de l’innovation »[7].

La remise en cause de son business model et le contexte de forte régulation étatique invitent à repenser son organisation sur le territoire. De même, le manque de lisibilité et de visibilité des politiques menées, ainsi que la crise de confiance majeure de l’opinion nécessitent une nouvelle stratégie de positionnement auprès de l’ensemble des professionnels de santé et des parties prenantes.

L’image des entreprises du médicament

L’industrie du médicament est une industrie de l’innovation ; elle est avant tout un acteur majeur du système de santé. Centrée sur la recherche et le développement de nouveaux médicaments, elle souffre d’un large déficit d’image auprès de l’opinion publique, jugée à la fois opaque, fermée et distante. Dans ce contexte, innover, développer sa capacité à conduire le changement et à s’adapter est une question stratégique, tout particulièrement en matière de communication. On peut y voir une opportunité d’amorcer un changement culturel. A partir des fondamentaux de son métier et de son expertise, l’industrie du médicament peut concevoir une nouvelle façon d’engager le dialogue avec les institutions et le corps social. Elle doit aujourd’hui innover dans ses approches afin de continuer à assurer la mise à disposition des produits de santé.

Accompagner les changements qui s’opèrent et être en phase avec les attentes des Français et des Européens, aller vers plus de responsabilité et plus de transparence : cette évolution est une opportunité pour l’industrie pharmaceutique d’améliorer son image, de renforcer son rôle de partenaire des institutions et des professionnels de santé, ainsi que son engagement pour une santé durable. Par exemple, GSK et AstraZeneca, ont d’ores et déjà, au plan international, autorisé l’accès aux données sources de leurs études cliniques. Dans cette perspective, Sanofi a également autorisé l’élargissement de l’accès aux informations et données des essais cliniques sponsorisés par l’ensemble des entreprises du groupe pharmaceutique depuis janvier 2014. « La découverte de nouvelles thérapies peut être accélérée par le partage complet de résultats de recherche, positifs ou négatifs, avec d’autres chercheurs. Le partage des données aide à réduire les doublons et permet aux chercheurs de progresser plus efficacement à partir des découvertes d’autres chercheurs » selon Christopher A. Viehbacher, ex-Directeur Général de Sanofi et actuel président de l’EFPIA[8]. Se positionner comme partenaire du changement donnera une longueur d’avance à ceux qui en feront le choix stratégique.

La promotion du médicament : mise en perspective

Parallèlement, l’évaluation médico-économique redéfinit pour le médicament les règles d’accès aux marchés, modifie la donne concurrentielle et fait entrer l’ensemble des métiers de l’entreprise du médicament dans une nouvelle culture. Aujourd’hui la montée en puissance des KAM (Key Account Manager) est rendue nécessaire par le passage d’une logique de personne (un prescripteur seul décisionnaire) à une logique d’acteurs multiples (une décision collégiale encadrée par un contrat de bon usage). Une approche commerciale globale est logique au niveau de l’établissement de santé, voire au-delà, au sein de la région. Ceci d’autant plus que les responsabilités budgétaires renforcées du Directeur d’Etablissement conduisent à une réorganisation des circuits de décision pour l’achat et le référencement hospitalier des médicaments.

La promotion uniforme du médicament doit être mise en perspective : elle doit s’articuler plus largement autour de la promotion de la santé en région. Elle nécessite également de comprendre le fonctionnement et les problématiques inhérentes à l’hôpital de demain. Dans ce contexte, il importe d’intégrer les différentes parties prenantes : Agences Régionales de Santé, établissements de santé, établissements médico-sociaux, structures d’exercice coordonné, réseaux de santé, associations de patients, professionnels de santé et laboratoires pharmaceutiques. Seuls de nouveaux modes collaboratifs impliquant l’ensemble des acteurs de santé publics et privés peuvent efficacement contribuer aux réformes utiles de notre système de santé. Le digital, qui fait déjà partie de la feuille de route de la Nouvelle France industrielle, pourrait être l’opportunité d’un mieux perceptible par les médecins et leurs patients et favoriser ainsi l’attractivité industrielle et l’innovation thérapeutique.

La santé connectée : de nouveaux territoires d’innovation

A l’heure du débat sur l’économie des soins, de la publication de rapports sur le bon usage du médicament et de l’intérêt de la prévention, un constat prévaut : la création de valeur dans le secteur de la santé ne repose plus uniquement sur le médicament, mais aussi sur des services et des solutions que les acteurs du numérique investissent activement. Le digital crée de véritables opportunités d’innover dans les services et la promotion de la santé. D’ores et déjà deux tendances se dessinent et offrent de nouvelles perspectives. D’une part, la médecine personnalisée propose des traitements plus ciblés et plus efficaces tout en contribuant à la réduction des dépenses de soins. D’autre part, les hautes technologies dédiées à la prévention, l’éducation thérapeutique et la gestion des maladies chroniques qui viennent enrichir l’offre de soins. Il est désormais possible de personnaliser les traitements, c’est-à-dire de n’administrer le médicament qu’aux seuls patients qui réagissent positivement. L’impact de cette nouvelle approche – le concept de médecine personnalisée et de théranostic[9] popularisés par Roche – est considérable : une efficacité accrue, moins d’effets secondaires, moins de ressources perdues pour un traitement inopérant. L’émergence de la médecine algorithmique et l’avènement du big data santé – que nous pourrions ici définir comme un ensemble de données contribuant au diagnostic et à la décision thérapeutique – la génomique[10] et les objets connectés modifient en profondeur la gestion et la prévention des maladies chroniques. Cette évolution est déjà présente en oncologie et en diabétologie par exemple.

L’usage accru du digital et la formation des équipes aux outils de la santé connectée sont de nouveaux territoires d’innovation pour l’industrie du médicament, notamment en termes de prévention et d’éducation thérapeutique : certaines approches numériques comme le quantified self[11] et la gamification[12] vont impacter les pratiques. La télémédecine ne se substitue pas aux pratiques médicales actuelles mais constitue une réponse aux défis auxquels est confrontée l’offre de soins aujourd’hui : accès aux soins, démographie médicale, décloisonnement et réformes structurelles du système de santé. Elle a le potentiel de bouleverser les conditions de l’exercice médical et les modalités d’accès aux soins, en permettant une prise en charge coopérative en temps réel d’un patient.

Cette tendance participe également d’une nouvelle dynamique économique et industrielle. Dans cette perspective, le plan « Santé Numérique », validé par le comité de pilotage des 34 plans de la Nouvelle France industrielle le 9 juillet dernier, entend « mettre l’accent sur la télémédecine, le traitement par le Big Data des données de santé et la médecine personnalisée », afin de proposer « des voies concrètes pour mieux soigner à moindre coût, tout en développant de nouvelles activités économiques en France »[13].

L’enjeu principal pour l’industrie du médicament sera de clarifier la différence entre données de santé et données de bien-être. Il concerne aussi et avant tout l’analyse et la maîtrise de ces données médico-économiques. A ce titre, il sera nécessaire de sensibiliser les pouvoirs publics au niveau européen et national sur le bon usage de ces données collectées. Les entreprises de santé ont tout intérêt à s’engager pleinement dans un processus de transformation de leur business model en intégrant une offre de Smart Health. Face à la transformation digitale, un constat demeure : une majeure partie de l’expertise pharmaceutique actuelle devra se réinventer.

Vers une offre contributive sur le territoire

Il s’agit pour les entreprises du médicament de passer d’une stratégie d’offre quantitative à une stratégie d’offre contributive et d’améliorer durablement le fonctionnement du territoire par la mise en œuvre participative d’opérations pertinentes sur le terrain, en lien avec les instances et les acteurs du système de santé. L’implantation des sites de production et des centres de recherche et de développement dans certaines régions françaises, contribue déjà à cette intégration de la dimension territoriale.

Par le biais de partenariats régionaux, incluant les Agences Régionales de Santé, les entreprises du médicament peuvent investir localement le champ de la santé publique. Ils gagneront ainsi, territoire après territoire, à être reconnus comme de nouveaux acteurs contribuant à l’optimisation du système de soins et de santé. Ces projets doivent s’inscrire avant tout dans la perspective de restaurer une relation de confiance mise à mal ou perdue avec les professionnels et les autorités de santé. Ils ne doivent en aucun cas s’inscrire dans une pure finalité commerciale. A l’échelon territorial, ces projets sont la traduction concrète de l’évolution du modèle d’affaires des entreprises du médicament. Ils revêtent à la fois des enjeux d’image forts et une dimension stratégique de long terme.

Proposer en marge des solutions thérapeutiques, des services associés destinés à améliorer la prise en charge des patients, le suivi et la coordination des soins, permettra à l’industrie du médicament d’être promue au rang « d’entreprise de santé ». Les bénéfices à attendre de ces démarches sont de plusieurs ordres : en termes de valorisation d’image, de reconnaissance et de légitimité en tant qu’acteur de santé, engagé au quotidien auprès des médecins et de leurs patients.

En conclusion

Le modèle économique de l’industrie pharmaceutique évolue indéniablement vers une filière des industries de santé. Le médicament sera de plus en plus intégré au sein d’offres thérapeutiques personnalisées. Cette mutation implique le renforcement des partenariats avec les acteurs industriels et institutionnels, mobilisant des compétences externes au champ strict de l’industrie pharmaceutique. Cette évolution intègre notamment les acteurs du numérique, du medtech, du diagnostic et de la prévention.
L’optimisation du parcours de soins, le déploiement de la recherche médicale, le juste accès aux prestations de santé et l’éducation thérapeutique sont des domaines d’application privilégiés de l’innovation numérique. L’usage du digital permet de mieux répondre aux besoins des populations, de réduire la durée de « prise de médicament », d’intervenir au bon moment au bon endroit, et de prendre en compte les évolutions propres aux pathologies et aux populations.

De plus, l’industrie française du médicament bénéficie d’un fort avantage comparatif et d’un fort potentiel de création d’activités dans un large éventail de secteurs[14] : il est important que ce potentiel bénéficie pleinement au système productif et aux régions françaises. Il s’agit là d’un véritable enjeu de dynamique de production sur le territoire.
L’enjeu est également de placer au cœur de la politique régionale de santé les notions de responsabilité, de développement durable et d’intérêt général. Ces éléments sont gages d’efficience et de qualité, vecteurs de confiance, de recherche, d’innovation et de croissance. Pour les entreprises de santé, ce sont autant d’opportunités de mieux communiquer sur leurs rôles et d’améliorer leur image dans l’opinion.

Au-delà du médicament, l’industrie pharmaceutique doit dès à présent endosser avec énergie son nouveau rôle de fournisseur de services et investir la promotion de la santé, à la fois dans une logique territoriale et de services numériques. Sa santé économique et la qualité des soins dispensés en dépendent.

 

Julia FRANÇOIS-BOUET @JuliaFBouet      linkedin.com/juliafbouet
Communication & Affaires Publiques Santé – Industrie Pharmaceutique

Dr Antoine POIGNANT @apw 
Fondateur du Congrès PharmaSuccess et Président de l’Agence Troubat

 

[1] Article Le figaro Economie, « La santé inquiète plus les Français que l’emploi ou le niveau de vie », de Christine Lagoutte, Propos de Serge Bizouerne, Président de la société d’intermédiation Domplus, 14 Octobre 2014.
[2] Source INSEE, Chiffres 2010.
[3] L’Observatoire Sociétal du Médicament, étude menée par Ipsos pour le Leem, Mars 2012.
[4] L’Observatoire Sociétal du Médicament, étude menée par Ipsos pour le Leem, Mars 2012.
[5] L’Observatoire Sociétal du Médicament, étude menée par Ipsos pour le Leem, Mars 2012.
[6] Leem, Les Entreprises du Médicament, Chiffres 2012.
[7] L’Economie du Médicament, Leem, Les Entreprises du Médicament, 18.06.2014.
[8] EFPIA, European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations.
[9] Définition : « Le théranostic vise à fournir une information qui permet une plus grande personnalisation du traitement. Ainsi, des tests dits « compagnons » sont associés à une molécule thérapeutique afin d’évaluer si le patient y répondra favorablement. Aujourd’hui, 70% des nouveaux médicaments sont des biothérapies ; il apparaît crucial de déterminer de façon précise et objective la réponse des patients à un traitement », Source Théradiag, Innovations for Biotherapies.
[10] Définition : « La génomique est une discipline de la biologie moderne. Elle étudie le fonctionnement d’un organisme, d’un organe, d’un cancer, etc. à l’échelle du génome, et non plus limitée à celle d’un seul gène », Source Cyclopaedia, Dictionnaire universel des arts et des sciences.
[11] Définition : « Le quantified self (ou QS) regroupe de façon générique les outils, principes et méthodes permettant à chacun d’entre nous de mieux nous connaitre, de mesurer des données relatives à notre corps, à notre santé, à notre état général ou aux objectifs que nous nous fixons », Source Emmanuel Gadenne.
[12] Définition : « La gamification est un néologisme de langue anglaise qui désigne le fait de reprendre des mécaniques et signaux propres aux jeux, et notamment aux jeux vidéo, pour des actions ou applications qui ne sont pas des jeux. Le but de la gamification est de rendre une action plus ludique et de favoriser l’engagement de l’individu qui y participe. Le principe de la gamification peut concerner la publicité, le marketing ou l’usage d’un produit. On utilise par exemple la gamification pour encourager l’usage d’applications d’e-learning », Source Définitions Web-Marketing.
[13] Article d’Elodie Vallerey, L’Usine Nouvelle, 19.06.2014
[14] Denis Ferrand, Etude « Contribution de l’industrie pharmaceutique à la croissance et la réindustrialisation de la France », document de travail n°36 par Coe-Rexecode pour le LEEM, 26.09.2012